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Le cou tendu, le regard fixe, Spiridion écoutait. Puis lentement il détourna la tête, et ses yeux vinrent s’arrêter sur la maison de Dionytza.

Cette maison s’élevait au pied de la colline, entourée d’un vaste jardin qui l’isolait ; du côté de la mer, une terrasse masquée par le bâtiment s’avançait. Cette terrasse, Spiridion ne pouvait l’apercevoir, mais c’était là que la jeune femme était étendue, et il la voyait aussi nettement dans sa pensée que s’il avait été près d’elle.

— Elle dort, pensait-il, seule, et rien ne trouble son sommeil d’enfant ; elle est radieuse et paisible, elle ne rêve pas qu’elle a pour jamais pris ma vie.

Enfin l’idée lui vint qu’il pouvait la rejoindre, et que la terrasse n’était pas haute. Il répétait en frémissant les courtes paroles qu’il avait dites à Dionytza, et sa raison l’abandonnait. Le désir devint âpre, irrésistible ; vainement il luttait, vainement il voulait rester : toutes les forces de sa volonté le poussaient maintenant au service de sa passion, elles en décuplaient la puissance ; il céda.

Alors, sans bruit, en se traînant, il se glissa entre les dormeurs ; il arriva à la terrasse, et là, s’arrêta.

Il était livide, glacé ; le cœur lui manquait. Il attendit un peu, retenant son souffle, et il écouta. Rien, — le silence partout ; il lui sembla qu’il n’avait jamais vu de nuit plus calme, et ce silence l’épouvantait : on eût dit que la nature anxieuse se taisait pour lui mieux permettre d’entendre les battemens de sa conscience. Il roula jusqu’au pied du mur un tronc d’arbre coupé qu’il dressa, puis rapidement, sans prendre garde, il escalada la plate-forme.

Dionytza était là : au-dessous de lui, couchée sur un double tapis, accotée contre le petit mur qui la garantissait du vent, comme dans une chambre, avec le ciel pour plafond. Elle dormait, dans sa tunique de toile blanche entr’ouverte au col, les bras à demi nus ; une couverture rouge était étendue sur ses pieds.

Spiridion se sentait mourir en la regardant ; il descendit près d’elle et se mit à genoux. Un sentiment de honte et de pitié s’empara de lui devant ce sommeil : jamais il ne l’avait vue si chaste et si belle ; il aurait voulu lui demander pardon et partir. Il lui parlait tout bas, comme à une enfant ; il se jurait de ne pas l’éveiller. Il écoutait sa respiration douce et tranquille qui soulevait à peine sa poitrine et qui s’exhalait, toujours égale, à travers ses lèvres entr’ouvertes ; et il restait là, immobile, enchanté, dans un long ravissement.

Sa main renversée pendait blanche et fine sur la couverture, à son côté ; il crut pouvoir la prendre dans sa main : la jeune femme s’éveilla.

Elle ne le reconnut pas d’abord ; elle le regardait avec des yeux