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entrer en campagne contre la confédération de Bar, elle publia un manifeste que signa le général en chef de l’armée russe, le prince Alexandre Michaïlovitch Galitzyne : «Ma très gracieuse souveraine, disait le prince dans ce curieux document, a fait suffisamment connaître à toute l’Europe et en particulier à la sérénissime république de Pologne par des déclarations réitérées les vues qui l’ont déterminée à prendre part aux affaires intérieures de cet état... Sa majesté l’impératrice s’est rendue aux prières que les Polonais lui ont faites et les a secourus avec tant d’affection et de désintéressement que les marques qu’elle a données de la pureté de ses intentions, de son amour pour la justice et de sa fidélité à remplir ses promesses, ne peuvent être contestées et dureront à jamais dans le souvenir de la nation polonaise. » Le généralissime ajoutait que sa majesté impériale n’avait en vue que le redressement des abus qui s’étaient glissés dans le gouvernement polonais, que la protection qu’elle devait aux dissidens persécutés par le fanatisme catholique, et qu’elle était uniquement guidée « par ses sentimens d’humanité[1]. » Trois ans plus tard, la Pologne était partagée, et Catherine s’adjugeait pour son lot la Livonie polonaise avec un morceau de la Lithuanie; c’était un à-compte, en attendant mieux. Il est vraiment bien difficile de croire aux guerres saintes et désintéressées depuis que nous avons vu plus d’un conquérant

Par le chemin du ciel courir à la fortune.


Le Barbier de Séville, qui vient d’être repris à la Comédie-Française avec un si brillant succès, est l’histoire d’une annexion, et cette histoire nous plaît, parce que l’annexioniste qui en est le héros y va de franc jeu et ne donne point de fausses couleurs à ses desseins. Il ne se pique pas d’être un humanitaire ni l’apôtre du droit des gens, il n’aurait garde de faire des phrases ; il aime éperdument la pupille du docteur Bartholo, il a juré qu’elle serait à lui : « Chacun court après le bonheur, s’écrie-t-il, il est pour moi dans le cœur de Rosine ; je n’ai qu’un mot à vous dire, elle sera ma femme. » Ce cri de la passion nous réjouit; mais si le comte Almaviva s’avisait de se donner pour un philanthrope, s’il essayait de nous persuader qu’en délivrant Rosine de ses grilles, il fait œuvre pie, qu’il obéit aux ordres du ciel, le comte Almaviva nous plairait beaucoup moins, et nous serions tentés de trouver qu’après tout le docteur Bartholo est un personnage intéressant et que Figaro fait un vilain métier.


G. VALBERT.

  1. Recueil des traités, conventions et actes diplomatiques concernant la Pologne, par M. le comte d’Angeberg, p. 72. Paris, Amyot, 1862.