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la pourpre ; mais au milieu de ses intrigues les plus tortueuses et de ses manœuvres les moins délicates, Dubois ne fit jamais menacer le pape de se mettre à la tête d’un schisme. Loin de là, il lui offrit d’embrasser étroitement les intérêts du saint-siège. Disons-le à la louange de Dubois et à la honte de Retz, c’est un degré de moins dans le mal.

Rien ne serait plus piquant que de mettre en regard de la correspondance du coadjuteur avec l’abbé Charrier celle de Dubois avec Laffîteau, évêque de Sisteron, Gascon des plus spirituels, doublé d’un jésuite, qu’il avait envoyé à Rome pour lui faire obtenir le chapeau. En voici un échantillon : « Je ne vous répète rien, lui disait Dubois[1], de ce que je me ferai une gloire et un plaisir de faire, non-seulement à l’égard de sa sainteté, mais même de M. le cardinal Albani. Soins, offices, gratifications, estampes, livres, bijoux, présens, toutes sortes de galanteries (le mot y est, comme dans les lettres de Retz); chaque jour verra quelque chose de nouveau et d’imprévu pour plaire et pour surprendre : c’est le fond de mon naturel; c’est ainsi que je me suis conduit toute ma vie; les plus grandes puissances de l’Europe l’éprouvent. Si sa sainteté le veut, il n’y aura jour de sa vie qu’elle ne reçoive de moi quelque consolation et quelque amusement qui lui fera attendre chaque poste avec impatience ; ses désirs n’iront pas si loin que mon industrie... »

Mais hâtons-nous de revenir à l’affaire de Retz. « Je ne puis m’empêcher de vous prier encore, écrivait-il à Charrier, de faire sentir à Rome, si vous le jugez à propos, et fort adroitement, que je ne suis pas homme à traiter comme l’abbé de La Rivière, et que, si les longueurs de la cour de Rome m’empêchaient d’être cardinal par quelque changement qui pourrait arriver à celle de France, je serais obligé de me relever aux dépens du cardinalat, ce qui n’est pas difficile à un archevêque de mon humeur. » Le coadjuteur ne se contenta pas de donner à l’abbé ces insidieuses instructions. Il trouva moyen de faire insinuer habilement au nonce du pape en France que, suivant le traitement qu’il recevrait de la cour de Rome,

  1. Lettre du 22 juin 1720. — Lorsque Dubois reçut le chapeau, on fit courir dans Paris des couplets dont voici un spécimen :

    Que chacun s’en réjouisse !
    Admirons Sa Sainteté,
    Qui transforme en écrevisse
    Un vilain crapaud crotté
    Après un si beau miracle,
    Son infaillibilité
    Ne doit plus trouver d’obstacle
    Dans aucune Faculté...