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justement frappé par sa propre divinité. On doit estimer heureux qu’il ait été tué le 24 mai, car, s’il avait réussi à se jeter sur la rive droite de la Seine et à se réunir à ses complices assemblés à la mairie du XIe arrondissement, il est probable que, venant au secours de Ferré, il n’eût pas laissé un seul otage en vie dans la prison de la Grande-Roquette ; de même l’on peut affirmer que, s’il eût été mis à mort le 23, jamais Gustave Chaudey n’eût été assassiné.

Le greffier Clément et le brigadier Gentil disparurent ; sont-ils tombés sur une barricade, ont-ils réussi à prendre la fuite ou à se cacher ? Nous l’ignorons. Benn et Préau de Védel furent traduits devant le 6e conseil de guerre, siégeant à Versailles. Benn fut condamné à deux ans de prison pour usurpation de fonctions publiques. Préau de Védel s’agita, nia, protesta, mentit ; les témoignages qui l’accusaient étaient unanimes et écrasans. Lors même qu’elle l’eût voulu, la justice militaire ne pouvait se montrer indulgente ; il fut condamné à mort, et son recours en grâce fut rejeté ; en présence de ces crimes si froidement accomplis, sans haine comme sans hésitation, on ne pouvait « préférer miséricorde à la rigueur des lois. » Avant de mourir, il écrivit à M. Thiers, alors président de la république : « Je suis assassiné,… mais je meurs innocent, et la postérité me vengera ! » tous du reste, tous ces criminels qui furent sans pitié et qui tuèrent, on peut le croire, pour le plaisir de tuer, tombent dans ce lieu-commun prétentieux et meurent en faisant appel à la postérité.

Il en est un cependant qui sut échapper à ce ridicule, c’est Augustin Ranvier. Lorsque, dans la matinée du 28 mai, les soldats s’emparèrent de la rue Saint-Maur, au moment où la lutte éteinte allait enfin laisser respirer Paris, étouffé depuis deux mois sous le poids de la commune, ils fouillèrent la maison portant le no 139, et, dans l’appartement occupé par une dame Guyard, ils aperçurent un homme pendu au plafond : le cadavre était déjà raide et froid. On le transporta à l’église Saint-Joseph avec les corps de plusieurs insurgés tués sur les dernières barricades. En visitant les vêtemens de ce mort inconnu pour y découvrir quelques pièces d’identité, on vit un papier attaché par une épingle à la doublure du gilet. Sur ce billet, on lut : « Je suis Ranvier, directeur de Sainte-Pélagie. Je meurs, parce que mon crime est impardonnable. »


MAXIME De CAMP.