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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/778

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A la fin de cette lettre, Mazarin s’ouvrait entièrement à la palatine et au coadjuteur de son projet de retour, protestant cependant qu’il ne ferait pas un seul pas sans leur assentiment. Et comme Retz n’eut garde de donner son adhésion à un tel projet, Mazarin, sans se soucier aucunement de tenir ses promesses et d’y subordonner sa conduite, prit bientôt la résolution de passer outre. En attendant, il assurait à la palatine qu’il ne précipiterait rien pour rentrer en France, afin, disait-il, « de ne pas exposer ses bons amis et principalement le coadjuteur.» — «Cependant il agira secrètement pour préparer son retour avec l’aide de celui-ci. La navigation sera pénible, mais il espère qu’avec le conseil d’un si bon pilote et si expérimenté comme est le coadjuteur, il prendra port heureusement... Plutôt que de manquer au solide, il faut donner quelque chose au hasard. Si Mazarin ne peut voir le coadjuteur, il ne manquera pas de l’avertir de sa résolution par le moyen de la princesse palatine... »

Mazarin revenait avec la dernière insistance sur la nécessité d’une entrevue avec le coadjuteur pour s’entendre avec lui sur la conduite qu’ils devaient tenir l’un et l’autre afin de sauver la royauté en péril. Cette sorte de duumvirat qu’il offrait à Retz pour le séduire, mais dont celui-ci n’eut pas de peine à voir le peu de fond et de consistance, est certainement un des faits les plus curieux et les moins connus de l’histoire de la fronde. Mazarin avait bien moins envie de consulter le coadjuteur que de le compromettre sans retour aux yeux des frondeurs par une visite qui bientôt n’aurait plus été un secret pour personne. Le coadjuteur ne donna pas dans le piège. En vain Mazarin épuisait toutes les ressources de son génie artificieux, en vain il s’efforçait de montrer au coadjuteur l’abîme ouvert sous ses pieds, s’il tardait davantage à se déclarer en sa faveur; en vain il lui faisait offrir une de ses nièces pour un de ses neveux, le coadjuteur ajournait toujours l’entrevue. Bartet, dans un de ses précédens voyages, avait, au nom de Mazarin, prié le coadjuteur de se rendre au pays de Liège, à quoi celui-ci avait répondu qu’il serait bien plus à propos que l’on choisît Charleville. Mazarin ayant pris le coadjuteur au mot, celui-ci éluda la question en disant que, réflexion faite, Charleville ne valait pas mieux que Liège[1]. Malgré tant de faux-fuyans, Mazarin n’en persistait pas moins à espérer ou à feindre d’espérer que Retz, dans la crainte de perdre le chapeau, finirait par céder. « Agissant de concert avec le coadjuteur, disait-il à la palatine, j’ai bonne opinion de mon affaire, à laquelle je travaille de mon côté comme je dois, car d’une façon ou d’autre, étant

  1. Le Tellier à M. de Villacerf, le 22 novembre 1651. Bibl. nat., ms. fr. 4230. — Il s’agit d’Édouard Colbert, marquis de Viilacerf, de Payen et de Saint-Mesmin, conseiller du roi en son conseil d’état et maître d’hôtel de la reine mère.