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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/813

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VOYAGE DANS LE PASY BASQUE.

toute couverte de blés mûrs, jaunes comme l’or, et de maïs aux tiges énormes, aux grands panaches verts. Une chaîne à pic, grise et dénudée, dont l’aridité contraste avec la fraîcheur du paysage, barre l’horizon. La route y court en droite ligne, traverse la gentille petite ville d’Azcoitia, frémissante elle aussi des apprêts de la fête, et tout à coup, évitant l’obstacle, oblique brusquement à droite avec le fleuve et la vallée. « Loyola ! Loyola ! » dit le conducteur, et en effet voici le sanctuaire, ses hautes murailles, sa coupole audacieuse et sa masse imposante. La voiture passe rapidement, et quelques minutes après on entre dans Azpeitia.

À peine descendu, je m’empressai de rebrousser chemin vers Loyola, mais je n’eus pas le temps d’y arriver. Le clergé d’Azpeitia revenait en procession du sanctuaire où il était allé faire des prières préparatoires. En avant marchait la fanfare d’un régiment de ligne, arrivé le matin même de Tolosa ; puis venaient les musiciens de la ville, jouant de la flûte et du tambourin ; par derrière, sur deux rangs, suivait le clergé. Le cortège avait pris le petit chemin à travers champs qui reliait autrefois la ville à Loyola, avant la création du chemin royal. Entraînés par l’habitude, comme s’ils étaient encore à la tête de leur régiment, les soldats accéléraient le pas et pressaient la mesure, les notes de la fanfare sonnaient claires et brèves, les pieds rapides frappaient la terre en cadence ; on ne marchait plus, on courait. À dire vrai, les bons prêtres ne s’en inquiétaient guère. Presque tous grands et forts, encore jeunes, d’une main retenant leur soutane, leur bréviaire fermé dans l’autre, ils enjambaient bravement les pierres et les guérets et semblaient monter à l’assaut. Et de fait, qui sait si, en cherchant bien, on n’en eût pas trouvé plus d’un parmi eux qui récemment encore combattait en soldat pour le triomphe de la bonne cause et faisait le coup de feu contre les troupes du gouvernement ?

L’orchestre des Basques comprend deux seuls instrumens, la flûte et le tambourin, toujours les mêmes depuis l’origine. La faite, tibia vasca, disaient déjà les Romains, est simplement percée de trois trous à l’extrémité et se rapproche beaucoup pour la forme du fifre dont on se servait autrefois dans nos régimens : à la vérité, le son en est moins fort, bien qu’aussi perçant ; le tambourin est petit, haut à peu près comme nos tambours d’enfant, et ne rend lui-même qu’un son assez plat. C’est le même artiste qui joue à la fois des deux instrumens ; de la main gauche, il porte la flûte à ses lèvres, et ses doigts alternativement ferment les trous ou les découvrent ; de la droite, avec une petite baguette, il tape sans interruption et d’un mouvement régulier le tambourin suspendu à son cou. Cela fait une harmonie singulière, un peu sauvage, qui surprend