Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/846

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou de plumes hostiles, car on pourrait en commencer la série en notant le fait que le Gaulois fut, comme le Français d’aujourd’hui, l’objet de haines enracinées, de rancunes indélébiles, que lui-même ne paraît pas avoir ressenties aussi longtemps ni au même degré. Nous avons toujours eu l’oubli facile.

Tout le monde connaît les deux goûts passionnés que le vieux Caton attribuait à nos ancêtres, rem militarem et argute loqui, « les choses de la guerre et la parole acérée, » c’est-à-dire subtile et pénétrante. La gravité romaine ne supportait pas plus facilement que certaines lourdeurs contemporaines notre humeur narquoise et notre irrésistible besoin de faire des mots. La rapidité avec laquelle nous pouvons toujours nous décider ou nous laisser entraîner à de graves résolutions était déjà l’objet des remarques intéressées de César, ut sunt Gallorum subita et repentina concilia (Bell. Gall. III, 8). Il est un défaut qu’il reproche aussi très fréquemment aux Gaulois, soit qu’il les prenne en masse, soit qu’il désigne des individus, celui qui consiste à aimer le changement politique, à s’engouer des nouveautés, à les provoquer, novis rébus studere, reproche assez étrange sous la plume d’un homme qui devait lui-même bouleverser les institutions de son pays, — qui s’explique par l’état où se trouvait alors la Gaule, mais qui devait avoir, alors comme aujourd’hui, sa raison d’être dans la mobilité des opinions et la fréquence des révolutions. C’est le même observateur, judicieux dans sa partialité même, qui déclare que les populations gauloises peuvent être excitées à la guerre mobiliter celeriterque, que leur esprit est prompt et vif pour l’entreprendre, qu’il est difficile de résister à leur premier choc, mais qu’elles faiblissent aisément sous le coup des revers. Nos ancêtres avaient donc comme nous cette vivacité d’imagination qui est tout à la fois une force et une faiblesse, qui peut engendrer aussi bien les enthousiasmes sublimes et les beaux désespoirs que les défaillances et les paniques, et qui, jointe à une autre aptitude de la race, la sociabilité, supposant elle-même une grande facilité de sympathie dans le mal comme dans le bien, explique dans notre histoire tant de grandeurs épiques et de lamentables désastres. L’imagination ardente a besoin d’alimens, et rien qui s’accorde mieux avec ce trait du caractère gaulois que la coutume également constatée par l’auteur des Commentaires, à laquelle les voyageurs et les marchands devaient se soumettre. On arrêtait les premiers sur les routes pour leur demander ce qu’il y avait de nouveau. Dans les oppides, grandes enceintes retranchées qui servaient de lieu de réunion, de marché et de défense aux divers peuples de la Gaule, les marchands devaient dire à la foule curieuse qui se pressait autour d’eux le pays d’où ils venaient, les nouvelles de ce qui s’y passait, ce qu’ils avaient pu observer en voyage. Cela