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L’hiver qui suivit prouva que ces craintes étaient fondées. Les Carnutes se révoltèrent contre Tasget, le chef que César leur avait imposé. Le patriote belge Ambiorix surprit une légion et cinq cohortes campées chez les Éburons (entre Meuse et Rhin) et les massacra. La légion que Cicero commandait chez les Nerviens (Hainaut et Namur) faillit partager le même sort. César dut accourir à marches forcées pour la dégager. Mais il n’était pas au bout de ses peines. L’Armorique se soulevait, les Trévires s’agitaient, les Serons s’insurgeaient contre leur chef, protégé de César. Celui-ci, contrairement à toutes ses habitudes, se vit contraint de passer tout cet hiver en pleine Gaule, toujours par voies et par chemins, déployant une activité prodigieuse, multipliant les promesses à ses partisans, infligeant de terribles châtimens à ses adversaires isolés et le leur laissant pas le temps de concentrer leurs forces. Un moment, il fut réduit à ne plus pouvoir compter que sur les Rèmes et les Eduens.

À force d’énergie et d’activité, il réussit pourtant à rassembler encore une fois les rênes éparses de l’attelage. Les Senons et les Carnutes durent se résigner aux conditions qu’il lui plut de leur imposer. Ambiorix et ses Belges durent fuir devant les légions. Les Trévres furent écrasés par son habile lieutenant Labienus. La pauvre Belgique fut encore ravagée, et, avec une audace qui pouvait sembler téméraire, César laissa derrière lui la Gaule frémissante, mais terrifiée, pour aller de nouveau menacer les Suèves au-delà du Rhin. Il en fut cette fois comme la première ; les Suèves se cachèrent dans les bois, et César revint sans avoir pu les joindre. Cela prouvait en toit cas de quelle force était l’appui que la Gaule trouverait dans une entente cordiale avec Rome contre les envahisseurs que la Germanie recelait dans ses profondeurs. César crut observer dans les assemblées générales des chefs gaulois qu’il avait convoquées successivement chez les Ambiani à Samarobriva (pont de la Somme, Amiens), puis chez les Parisii à Lutèce, puis à Durocortorum (Reins) chez les Rèmes, des signes d’hésitation, de peur ou de résignation, qui l’autorisaient à aller passer l’hiver en Italie. Il eût été bien contrarié de ne pouvoir s’y rendre : la tournure que les choses prenaient à Rome devenait à son tour très inquiétante pour son ambition personnelle. Il partit donc après avoir indiqué à ses dix légions[1] leurs quartiers d’hiver. Deux légions étaient campées chez les Trévires (pays de Trêves), deux chez les Lingons (pays de Langres), six chez les Senons, à Agendicum (Sens). Il croyait la

  1. Ce chiffre, qu’il donne lui-même, permet d’évaluer son armée à 50,000 ou 60,00 hommes de pied, plus environ 6,000 cavaliers, non compris les auxiliaires gaulois et même germains.