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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/945

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REVUE. — CHRONIQUE.

en dépit de la volonté des hommes, toutes les conditions de vie régulières sont interverties, où toutes les arrière-pensées et les contradictions sont accumulées, où s’agite une politique d’entraînement et de tentation qui inspire fatalement des défiances, parce qu’elle ne sait pas elle-même où elle va, où elle peut s’arrêter. Le mal est dans une situation fausse que ne redresseront pas vingt jours de plus gagnés par une interprétation subtile de la constitution et employés en déclarations officielles, — vingt jours qui n’auront servi qu’à prolonger sans profit une épreuve énervante pour l’opinion. Le danger est dans ce violent artifice qui fait du gouvernement le chef d’une entreprise où tout est livré à l’aventure, où les esprits les plus sincères ne peuvent se défendre d’un mouvement de tristesse en présence du temps perdu, des intérêts compromis, de la sécurité mise en doute, de l’œuvre de reconstitution nationale interrompue par les tentatives des partis.

Le gouvernement s’étonne et se plaint quelquefois de n’être ni compris ni suivi par ceux dont le concours lui aurait été naturellement assuré dans d’autres circonstances : il ne peut accuser que lui-même et sa politique, et ses procédés au moins étranges, et l’inconnu où il nous mène. Certes, quand d’effroyables crises comme celles qui ont passé sur la France ont laissé tant de ruines à relever, tant de plaies à guérir, tant de choses essentielles et patriotiques à faire ou à refaire, ce n’est pas de gaîté de cœur qu’on en vient à combattre ceux qui ont le lourd fardeau du pouvoir. Il y a des situations, — et la situation où vit la France depuis sept ans est de celles-là, — où le gouvernement est, avec l’assentiment et l’appui de tout le monde, le promoteur naturel, le directeur nécessaire de toutes les réparations, de toutes les œuvres d’intérêt national. Il faut lui porter secours de son mieux, sans lui marchander la confiance et le pouvoir, en lui donnant toutes les forces dont il a besoin pour diriger prudemment dans tous les cas, habilement et fructueusement, s’il le peut, les affaires intérieures et extérieures du pays. Encore faut-il cependant que le gouvernement lui-même sente la gravité et les devoirs de son rôle, qu’il reste sur le terrain fixe et solide où les circonstances l’ont placé, où il est toujours certain d’avoir avec lui tous ceux qui mettent l’intérêt patriotique au-dessus des intérêts de parti. Assurément, si la république est devenue aujourd’hui ce terrain fixe sur lequel est fondé le gouvernement légal, ce n’est pas le résultat d’un entraînement universel, d’un choix enthousiaste. On a fait le plus grand, le plus sérieux effort pour l’éviter; on a essayé de rétablir la monarchie traditionnelle, et au mois d’octobre 1873 on a pu vraiment se croire à la veille d’une restauration : on n’a pas réussi, au dernier moment la restauration s’est évanouie, le roi a manqué à la royauté! La république s’est trouvée ainsi avoir l’avantage de rester la seule chose possible, et, après avoir vécu presque par tolérance, d’arriver à une existence reconnue, officielle, par l’impossibilité de tous les autres régimes.