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relaxer. L’abbé Crozes, du reste, prenait philosophiquement son parti ; à quelqu’un qui le plaignait d’être obligé de vivre en cellule, mal nourri, mal couché, sans sécurité pour son lendemain, il répondit : « J’en remercie la Providence, car ça me permet de repasser ma théologie, que j’avais un peu négligée. »

L’arrivée des otages à Mazas éveilla bien des craintes, car l’on comprit que l’on serait sans merci pour les prêtres ; or l’aumônier de la maison d’arrêt cellulaire, M. Jouvent, était un vieillard, presque infirme par suite d’un coup de barre de fer qu’un détenu lui avait jadis appliqué sur la tête. Il s’agissait, pour lui éviter les inconvéniens et même les périls d’une captivité étroite, de le faire sortir de la prison et de l’emmener hors de Paris. Cette œuvre de salut, qui fut intelligemment accomplie, doit encore être portée à l’actif du personnel des employés, car ce fut Mme Eve, la femme du surveillant, qui se chargea de l’aumônier, le déguisa, le fit partir avec elle, le conduisit dans une ville de province et veilla sur lui jusqu’au jour où il put, sans danger, rentrer à Mazas, enfin rendue à l’administration régulière.

On a dit que Mouton, mû de pitié pour l’archevêque[1] et pour M. Bonjean, avait fait un effort afin de faciliter leur évasion. On prétend que des vêtemens de fédérés leur avaient été procurés ; M, Bonjean aurait lui-même placé un képi sur le front de Mgr Darboy et lui aurait dit en plaisantant : « Ça vous donne un petit air militaire qui vous sied très bien. » tous deux auraient refusé de profiter des bonnes dispositions du directeur à leur égard ; l’un pour ne pas surexciter les colères de la commune contre le clergé dont il était le chef, l’autre parce qu’un magistrat ne doit point fuir. Cette histoire n’est pas impossible ; mais en tout cas il eût été bien difficile de faire évader les deux hommes que la commune tenait le plus à garder sous sa main.

L’archevêque et M. Deguerry, curé de la Madeleine, écrivirent, « sans aucune pression, de leur propre mouvement, » du moins ils le dirent, des lettres qui ont été connues du public et auxquelles M. Thiers répondit en démentant les prétendues cruautés commises par l’armée française, auxquelles les deux otages avaient fait allusion. Une sorte de négociation officieuse avait été entamée en vue d’un échange de prisonniers ; le gouvernement insurrectionnel se déclarait prêt à délivrer plusieurs ecclésiastiques, si le gouvernement régulier consentait à mettre Blanqui en liberté. À cet effet, l’abbé Lagarde fut envoyé à Versailles sur parole, et M. Washburne,

  1. Une protestation très énergique contre l’arrestation de l’archevêque de Paris, signée de MM. E. de Pressensé et Guillaume Monod, pasteurs protestans, fut publiée le 11 avril par le journal le Soir. Une autre protestation, très belle et de haute moralité, signée par vingt-trois pasteurs, fut déposée le 20 mai au comité de salut public.