Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses comptes qui subsiste aide à supposer celle qui a disparu. On peut en tirer cette conclusion que les gaspillages du luxe parasite tiennent encore plus de place qu’on était disposé à le croire dans les-embarras financiers de l’ancienne monarchie.

Ce serait une question même à ce propos de savoir si les femmes, considérées comme objet de luxe royal, n’y ont pas coûté plus cher, ne sont pas entrées dans la ruine générale pour un chiffre plus fort, que le despotisme. Nous n’hésitons guère à l’affirmer pour notre compte, et nous croyons que la monarchie absolue a ouvert ici une source de luxe et de prodigalités qui peut passer pour une de ses inventions les plus originales. « Dans les états despotiques, dit Montesquieu, les femmes n’introduisent pas le luxe, mais elles sont elles-mêmes un objet de luxe. » Ainsi elles n’introduisent pas le luxe : c’est déjà bien quelque chose. En effet, elles sont extrêmement esclaves. De plus, « comme, dans ces états, les princes se jouent de la nature humaine, ils ont plusieurs femmes, et mille considérations les obligent de les renfermer. » Donc on ne les prend pas pour modèles. La débauche, voilà le luxe du despotisme, et il ne laisse pas de coûter assez cher, surtout par les effets indirects. La polygamie, avec ses marchés où les femmes sont vendues comme des troupeaux, et avec son entretien coûteux, est à vrai dire la lèpre de ce régime. Sans vouloir l’accepter en échange de nos abus modernes en ce genre, je persiste à soutenir que le règne des favorites a coûté plus cher que tous les harems. Le même grand écrivain que je viens de citer dit à ce sujet : « Les femmes ont peu de retenue dans les monarchies, parce que, la distinction des rangs les appelant à la cour, elles y vont prendre cet esprit de liberté qui est à peu près le seul que l’on y tolère. Chacun se sert de leurs agrémens et de leurs passions pour avancer sa fortune, et comme leur faiblesse ne leur permet pas l’orgueil, mais la vanité, le luxe y règne toujours avec elles. » On a pu mesurer cette influence sur les modes, où elles ont porté la magnificence et la mobilité, plus coûteuse encore, et sur les mœurs elles-mêmes, qui s’en ressentent de tant de manières. Cette action générale exercée par les femmes sur le luxe est due en partie à l’influence qui constitue un fléau plus moderne, et que je viens de désigner sous son vrai nom : le règne des favorites. Qu’on ne nous dise pas que les despotes ont parfois élevé au plus haut rang une de leurs concubines : ces femmes n’ont pas régné. Leur exemple n’a pas répandu la contagion du luxe ; elles n’ont presque jamais eu d’action sur la politique. Les favorites au contraire propagent et corrompent le luxe par l’influence de la cour sur la ville : elles envahissent le gouvernement, qu’elles n’ont guère manqué d’avilir. Pour combien, dans ce bilan du luxe des monarchies absolues, où la galanterie