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retour. » Il ajouta que la reine le priait de se souvenir des grâces qu’il avait reçues d’elle, notamment de sa nomination au cardinalat, et de se rendre en personne auprès d’elle, résolue qu’elle était « à partager sa confiance entre le cardinal Mazarin et lui. » Le coadjuteur se confondit en protestations de dévoûment pour la reine, se montra touché au-delà de toute expression des grâces qu’il avait reçues d’elle, mais il déclara que la reine ne devait point désirer qu’il se rendit à la cour ; « que, s’il était cardinal, il le ferait volontiers, mais qu’en l’état où il se trouvait, il ne voulait pas perdre le crédit qu’il s’était acquis dans Paris en l’abandonnant dans la conjoncture présente[1]… »


III

A Rome, sa promotion paraissait fort compromise par d’habiles manœuvres dirigées par les émissaires des princes. Condé, l’implacable ennemi du coadjuteur, avait donné, comme nous l’avons dit, des instructions secrètes à deux de ses familiers, les pères de Lingendes et Boucher de la compagnie de Jésus, qui se rendaient à Rome pour une congrégation de leur ordre, réunie afin d’élire un général. Le père Boucher, provincial de Toulouse, avait enseigné la philosophie au prince de Condé, lorsqu’il faisait ses études au collège de Bourges, et il avait été nommé confesseur des princes pendant leur prison au bois de Vincennes et au Havre. Le père de Lingendes n’était pas moins attaché aux princes et se montrait si grand frondeur dans ses propos que l’ambassadeur de France demanda au père Gottifredi, récemment élu général, et au père Annat, assistant, d’empêcher ce jésuite de rentrer en France et même de l’expulser de Rome, si dorénavant il ne gardait le silence[2]. Les pères Boucher et de Lingendes ne trouvèrent rien de mieux, pour perdre le coadjuteur dans l’esprit du pape, que de semer le bruit qu’il était janséniste. Suivant l’ambassadeur, ils agissaient ainsi pour plaire au prince de Condé, et dans la crainte que Retz, devenu archevêque de Paris, ne se montrât pas favorable à leur ordre dans les démêlés qu’il pourrait avoir avec l’ordinaire et l’université de Paris.

Monsignor Chigi, qui avait été récemment nonce à Cologne, et que le pape, ainsi que nous l’avons dit, avait rappelé de sa nonciature pour qu’il succédât au cardinal Panzirolo en qualité de premier secrétaire d’état, était fort ami des jésuites et de leur doctrine. Il prit feu sur cette insinuation, et il courut en prévenir Innocent X.

  1. Bibliothèque nationale. Papiers d’état de Le Tellier, Ms. fr. 6887. Poitiers, 28 décembre 1651.
  2. Le bailli au comte de Brienne. Rome, 29 janvier 1652.