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cesse reparaître dans la pratique le principe du droit barbare, qui ne promettait pour ainsi dire l’équité qu’aux seuls hommes libres, et laissait l’esclave sous le bon plaisir du maître. Le serf était entièrement livré à l’omnipotence de son seigneur ; il n’avait aucun recours légal contre l’injustice, l’excès de rigueur du juge, et son unique espoir était dans la miséricorde de celui-ci. Les mœurs seules pouvaient tempérer et tempéraient effectivement la sévérité du châtiment qui pouvait lui être appliqué ; il y avait aussi l’intérêt du seigneur, il ne devait pas frapper trop facilement ceux qui cultivaient ses terres et étaient pour lui, par leur travail, une source de profits. Les prélats, les abbés, les moines se montraient plus humains envers leurs serfs que les seigneurs laïques, n’oubliant pas que ces serfs étaient, comme les autres hommes, des créatures de Dieu. Tout en appartenant à la féodalité par leurs biens, les seigneurs ecclésiastiques n’en demeuraient pas moins membres de l’église, et ils devaient à ce titre se conformer à ses canons. Celle-ci, dans les condamnations qu’elle prononçait, avait toujours en vue de corriger le pécheur, et une telle préoccupation adoucissait la rigueur de ses sentences.

Le vilain, qui prit peu à peu la place du serf, quand il n’était pas de ceux que des franchises octroyées par le seigneur assimilaient presque à un bourgeois, ne se trouvait guère dans une condition meilleure que l’avait été l’esclave de la glèbe. Le seigneur, représenté par son délégué, son prévôt ou son juge, prononçait-il sur quelque accusation dirigée contre le vilain, il ne devait compte de sa sentence qu’à Dieu. Se rendait-il coupable de quelque iniquité, il mettait sans doute son âme en danger, mais voilà tout ; ainsi nous le dit, dans son livre intitulé : le Conseil, Pierre de Fontaines, l’un des plus grands juristes du XIIIe siècle. Le vilain condamné par le juge de son seigneur n’avait pas le droit de fausser ce jugement, à moins qu’une charte spéciale ne lui eût accordé un tel privilège ; il ne retrouvait quelque garantie que lorsqu’il avait pour adversaire un chevalier dont il n’était ni l’homme ni le vassal. Il pouvait alors réclamer le combat singulier, mais l’avantage des armes était, dans le duel qui devait avoir lieu, tout au chevalier, car celui-ci avait le droit de combattre à cheval, tandis que le vilain n’était autorisé qu’à combattre à pied et ne devait point recourir à l’emploi des armes qu’il appartenait aux seuls nobles de porter. Aussi, afin de faire cesser cette criante inégalité, permettait-on aux parties de commettre à leur place des champions ou, comme on disait, des avoués, ainsi que cela était le cas lorsque l’âge, la complexion, les infirmités, le sexe, créaient entre les deux parties une inégalité manifeste.