Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/26

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Meunier emporta pour justifier le transfert était singulièrement laconique : Reçu quarante curés et magistrats ; pas de signature, mais simplement le timbre administratif de la prison.

Portant leur petit paquet sous le bras, placés les uns auprès des autres, comptés plusieurs fois par le brigadier Ramain, les otages restaient impassibles, debout et cherchant à trouver un point d’appui contre les murailles, car le trajet dans les voitures de factage les avait extrêmement fatigués. Ramain prit une lanterne, s’assura d’un coup d’œil que les surveillans étaient près de lui, puis il dit : — Allons, en route ! — On traversa l’avant-greffe, on gravit le grand escalier, et, tournant à gauche, on pénétra dans la quatrième section. Une sorte de classement hiérarchique présida au choix des cellules : Mgr Darboy eut le no 1, le président Bonjean le no 2, M. Beguerry le no 3, M. Surat, archidiacre de Paris, le no 4 ; la meilleure cellule, plus grande et moins mal meublée que les autres, le no 23, échut à l’abbé de Marsy. Dès qu’un des otages, obéissant aux ordres de Ramain, surveillé par François, avait franchi la porte de son cabanon, celle-ci était fermée ; on poussait le gros verrou, et un tour de clé « bouclait » le malheureux. Nulle lumière ; l’obscurité était complète dans ces cachots : on tâta les murs, on essaya de se reconnaître au milieu de la nuit profonde. — tout l’ameublement se composait d’une simple couchette en fer, garnie d’une paillasse, d’un matelas, d’un traversin, le tout enveloppé d’un drap de toile bise et d’une maigre couverture : pas une chaise, pas un escabeau, pas un vase, pas même la cruche d’eau traditionnelle. Au petit jour, les détenus placés dans les cellules de droite purent apercevoir le premier chemin de ronde ; ceux qui étaient à gauche avaient vue sur le préau, que l’on nomme aussi la cour principale.

Le bruit d’une maison qui s’éveille, la rumeur des détenus de droit commun qui tramaient leurs sabots sur les pavés, ne laissèrent pas les otages dormir longtemps le matin. M. Rabut, qui, en sa qualité de commissaire de police, connaissait bien le règlement disciplinaire des prisons, voyant le brigadier passer dans le couloir, lui demanda de l’eau ; le président Bonjean réclama une chaise ; à l’un et à l’autre, Ramain répondit : « Baste ! pour le temps que vous avez à rester ici, ce n’est pas la peine ! » Depuis le 26 avril, depuis l’entrée de Garreau à Mazas, les otages avaient vécu sévèrement isolés les uns des autres ; s’ils s’étaient promenés, ils n’avaient pu se promener que seuls, dans le petit préau cellulaire, sans aucune communication tolérée avec leurs compagnons de captivité. Ils s’imaginaient qu’il en serait ainsi à la Grande-Roquette, et furent agréablement surpris lorsqu’on les fit descendre tous ensemble par l’escalier de secours et qu’on les réunit dans le premier chemin de ronde. Ils éprouvèrent une sorte de joie enfantine à se retrouver, à