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et qui remontent par delà le XVe siècle, relatent les actes criminels les plus variés et attestent la constante impuissance de la justice à arrêter ceux que des instincts brutaux ou pervers, que des convoitises désordonnées poussent à attenter à la vie, à l’honneur et aux biens de leurs semblables, et ces témoignages ne nous fournissent qu’une statistique encore très incomplète de la criminalité dans l’ancienne société, car en des temps de publicité fort réduite que de crimes et de délits jugés et punis par les magistrats inférieurs ont passé inaperçus ! On retrouve dans ceux que l’histoire a enregistrés ou que mentionnent nos archives judiciaires toutes les formes de la criminalité actuelle ; seulement, à raison de la différence existant entre les mœurs d’autrefois et celles de notre société, certaines catégories de crimes étaient plus fréquentes qu’aujourd’hui, et d’autres l’étaient moins. Mais l’ensemble de tous ces crimes démontre la présence d’une masse effrayante de malfaiteurs et de gens sans moralité et sans probité qui bravaient la justice, qui se jouaient des menaces d’une procédure en apparence solidement armée contre eux. C’est que, il faut le reconnaître, si la loi était efficace contre le faible, elle était trop souvent impuissante vis-à-vis du fort, et celui-ci se flattait toujours que le châtiment ne pourrait l’atteindre. L’énormité même des attentats lui paraissait un moyen de réduire la justice au silence : aussi rencontre-t-on durant cette époque de procédure si terrible, de pénalité si redoutable, des forfaits dont les équivalons ne se voient plus de nos jours. Ai-je besoin de citer le fameux Gilles de Retz et Pierre de Hagenbach, gouverneur de la Haute-Alsace pour Charles le Téméraire, deux monstrueux spécimens qui donnent une idée de ce que la scélératesse a pu produire au XVe siècle ? Dans les faits imputés à l’exécrable maréchal de Charles VII et à ses infâmes complices, faits qu’ils confessèrent eux-mêmes, on ne sait ce qui l’emporte de la férocité ou de la dépravation ; l’énoncé seul de tels faits est si épouvantable qu’on n’a osé publier cette affreuse procédure où l’officialité, qui concourut avec la justice séculière à poursuivre les coupables, prit une initiative qui l’honore. S’il fut moins sanguinaire en ses débauches, le maître d’hôtel et lieutenant du duc de Bourgogne ne le cède point à Gilles de Retz en fait de meurtres et d’inventions homicides ; les cruautés les plus abominables qui ont déshonoré la mission de quelques-uns des proconsuls de la terreur demeurent encore fort au-dessous de celles du seigneur alsacien. Qu’on feuillette les registres des grands jours de ces assises extraordinaires qu’allaient de temps en temps, aux XVe, XVIe et XVIIe siècles, tenir les parlemens en diverses villes de leur ressort pour y accélérer l’expédition des affaires et donner l’exemple d’actes