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que faire retour à l’état, seul en mesure de se substituer à la personnalité morale du clergé pour satisfaire au service que les fondations avaient pour but d’assurer, à savoir l’éducation, l’assistance des pauvres et l’entretien du culte.

Nous venons d’analyser les principaux discours prononcés dans l’assemblée constituante en faveur de l’aliénation des biens du clergé ; résumons maintenant les discours contraires. Les principaux orateurs en ce sens furent Malouet et l’abbé Maury. Ces discours sont la contre-partie des précédens. Le discours de Malouet a la même gravité, la même solidité que celui de Thouret ; les discours de l’abbé Maury paraissent presque aussi pressans, presque aussi habiles, que ceux de Mirabeau, et souvent aussi, comme ceux-ci, ils ont un côté sophistique.

Malouet se place à un point de vue nouveau. Il ne s’agit pas pour lui de propriété, mais de « possession. » Dans le fait, la propriété ecclésiastique appartient collectivement au culte et aux pauvres ; mais ce qui appartient au bénéficiaire, c’est la possession. Le clergé ne réclame pas le droit d’aliéner ; mais le droit de disposer est aussi une propriété. On invoque pour prouver le droit de l’état l’édit de 1749 qui restreignait les fondations ecclésiastiques ; mais « l’incapacité d’acquérir n’est pas celle de posséder. » On fait valoir la destruction du clergé, comme ordre politique ; mais les dotations n’ont pas été faites au clergé comme ordre politique ; elles sont pour la plupart des dotations distinctes pour certains services déterminés ; or ces services n’ont pas disparu, et c’est aux ministres du culte que les fondateurs ont voulu en confier le soin. On invoque des argumens contradictoires : tantôt on dit que le clergé comme corps n’a pas le droit de posséder ; tantôt qu’il ne doit plus posséder parce qu’il n’est plus un corps. La possession est un fait ; à ce titre elle est sous la sauvegarde de la nation, comme les autres propriétés. Dans un mouvement de touchante éloquence, Malouet demandait s’il était généreux, après avoir adjuré au nom du Dieu de paix les membres du clergé à se réunir au tiers, de les renvoyer dépouillés de leurs biens par un décret auquel ils n’auraient pas consenti. Il ajoutait que l’opération proposée dépassait les pouvoirs de l’assemblée nationale et qu’il ne croyait pas qu’une telle mesure fût approuvée par la majorité des citoyens. Il ne se refusait pas à quelques mesures nécessaires : dédoubler les riches bénéfices accumulés sur une seule tête, supprimer les abbayes à mesure des vacances, réduire le nombre des évêchés, des monastères, etc. ; mais l’aliénation générale lui paraissait à la fois injuste et inutile.

L’abbé Maury, comme Malouet, invoquait contre la mesure proposée le silence des cahiers. On sait que les états-généraux avaient été nommés sous l’empire du mandat impératif. Or dans aucun