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propriétaire réel. Thouret, nous l’avons vu, porta le débat sur ce terrain, et ce fut pour lui répondre que Maury prononça son second discours.

Suivant Maury, la distinction entre les individus et les corps est une inutilité. L’individu serait, dit-on, antérieur à la loi et existerait par lui-même, tandis que les corps n’existent que par la loi. C’est là une chimère ; le droit de propriété, pour les individus aussi bien que pour les corps, n’existe que par la loi : concession grave qui n’esquivait la thèse de Thouret que pour tomber dans celle de Mirabeau, car, si la loi a fait la propriété, elle peut la défaire, et ce que l’on demandait précisément, c’était de faire une loi nouvelle qui eût abrogé la loi antérieure. On avait dit que détruire un corps n’est pas un homicide ; Maury répond que l’existence est la vie morale des corps : la leur ôter, c’est être homicide. La propriété du clergé est antérieure à la royauté elle-même. « Nous possédions nos biens avant Clovis. » Les formalités auxquelles cette propriété est assujettie ne prouvent rien contre elle, car toutes les propriétés, quelles qu’elles soient, subissent des formalités semblables. Quel droit invoquera-t-on contre nous ? Est-ce le droit d’épaves, ou le droit de confiscation ? On a consacré la propriété des fiefs : et cependant ce sont aussi à l’origine les donations des rois.

D’autres orateurs prirent encore part au débat ; Barnave, Chapelier, Dupont de Nemours, Montlosier. Ce sont toujours à peu près les mêmes argumens : quelques-uns cependant sont à remarquer. Montlosier, par exemple, soutenait que les vrais propriétaires n’étaient ni le clergé, ni l’état, mais « les institutions auxquelles les biens avaient été donnés. » Il reconnaissait que l’état a le droit de disposer de ces biens, « non par droit de propriété, mais par droit de souveraineté. » Un membre du clergé, l’abbé Dillon, parlant contre son ordre, disait : « Il ne faut pas considérer si nous sommes propriétaires, mais que notre devoir serait de renoncer à cette propriété quand même elle serait établie. » Un autre membre du clergé affirmait que « l’acte fondamental du propriétaire, c’est la possession, » et faisait observer que le clergé avait toujours été appelé dans toutes les assemblées nationales à titre de propriétaire. Barnave, Chapelier, Tronchet, montraient que les traits caractéristiques du propriétaire, à savoir le droit d’aliéner, le droit d’user et d’abuser, le droit de consommer les fruits, faisaient ici défaut. « Comment serait-il propriétaire, n’étant pas même usufruitier ? » L’abbé Grégoire, ouvrant un avis mixte, et soutenant que la propriété de ces biens n’appartient pas plus à l’état qu’au clergé, demandait que les biens revinssent aux familles des donateurs ou aux provinces. Enfin un député inconnu, Chasset, donnait un argument naïf et inattendu, qui était néanmoins le vrai mot de la situation :