Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/39

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cellule de Mgr Darboy, on fut plus satisfait : l’anneau pastoral les avait mis en gaîté ; ils en discutaient la matière et la valeur, ils faillirent même se prendre un peu aux cheveux, car ils ne parvenaient pas à s’entendre sur la nature de l’améthyste : les ignorans prétendaient que c’était un diamant, les savans soutenaient que c’était une émeraude. On fit un paquet de toutes ces pauvres défroques et on les porta dans l’appartement du directeur, que tant d’émotions, accompagnées de trop de verres de vin, avaient fatigué et qui s’était mis au lit de bonne heure.

Pendant que l’on dévalisait les cellules, les cadavres, toujours étendus au pied du mur de ronde, se raidissaient dans la mare de sang dont ils étaient baignés. Le respect des morts professé par les gens de la commune exigeait qu’on ne les laissât pas sans sépulture, mais le respect de la propriété nécessitait qu’on les dépouillât de tout ce qui représentait une valeur quelconque. Vérig, le brigadier Ramain, un greffier improvisé des Jeunes-Détenus, nommé Rohé, et quatre ou cinq autres nécrophores, munis de lanternes, vinrent à deux heures du matin s’accroupir auprès des corps mutilés par les balles. On y allait sans ménagement, et l’on déchirait tout vêtement dont les boutonnières ne cédaient pas au premier effort. Un d’eux se passa la croix pastorale autour du cou, ce qui fit rire les camarades ; un autre, voulant arracher les boucles d’argent qui ornaient les souliers de l’archevêque, se blessa la main contre un ardillon ; il se releva et, frappant le cadavre d’un coup de pied au ventre, il dit : « Canaille, va ! il a beau être crevé, il me fait encore du mal. » — « Cela dura quelque temps ; Ramain, fatigué, disait : « Dépêchons-nous, le jour va venir. » — Alors on jeta dans une petite voiture à bras les corps de Mgr Darboy, du président Bonjean, de l’abbé Deguerry. Un fédéré s’attela dans les brancards, d’autres poussèrent derrière et aux roues ; on arriva ainsi au cimetière du Père-Lachaise, et les corps furent versés dans l’une des tranchées toujours ouvertes aux fosses banales. On fit un second voyage pour emporter de la même façon les restes de l’abbé Allard, du père Clerc et du père Ducoudray. Aucun des objets volés dans les cellules et dans les vêtemens des victimes ne fut retrouvé. Un paquet de hardes qui ne pouvait servir à rien parut compromettant. La maîtresse de François fit acheter du pétrole et brûla ces inutiles dépouilles. Le directeur avait donné ordre de « nettoyer » l’endroit où les otages étaient tombés et d’enlever les traces de sang. Une pluie printanière se chargea de ce soin ; l’eau du ciel lava la place.