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démontra de prime abord la possibilité de l’utiliser, au moins dans une certaine mesure, pour la navigation européenne. — L’exploration de l’Indo-Chine devait donc avoir pour conséquence la reconnaissance complète de la grande artère fluviale du Tonkin, appelée à fournir la voie vainement cherchée par le Mékong, et, si la mort ne fût pas venue frapper le commandant de Lagrée au terme de sa première entreprise, il n’eût cédé à personne l’accomplissement de cette tâche. Initié à ses projets, je n’avais cessé depuis mon retour en France de rechercher les moyens d’achever l’œuvre qu’il avait glorieusement commencée. Avec l’appui bienveillant du gouverneur de Cochinchine, j’obtins du ministère de la marine l’organisation d’une mission subventionnée par la Société de géographie de Paris et les ministères de l’instruction publique et des affaires étrangères, et, au commencement du mois de mai 1873, je reçus l’ordre de me rendre à Saïgon pour en prendre la direction.

Comme il fallait attendre, avant de gagner les embouchures du Song-koï, le retour de la saison sèche, moins brûlante et plus favorable à l’exploration des cours d’eau qui sillonnent le delta du fleuve et les plaines du bas pays, je fus officiellement autorisé à user du temps qui me restait jusqu’au mois de novembre pour visiter ces anciens monumens khmers dont j’avais eu occasion, lors de mon voyage sur le Mékong, d’admirer les ruines grandioses, disséminées dans les forêts de la vaste presqu’île indo-chinoise.

Chose surprenante, ni les missionnaires, ni les traficans portugais et hollandais qui ont parcouru ces contrées dans les deux derniers siècles, et qui vraisemblablement ont eu connaissance de ces superbes édifices, ne semblent en avoir révélé l’existence à l’Europe. Le naturaliste français Henri Mouhot fit donc, on peut le dire, une véritable découverte lorsqu’en 1861, explorant le royaume de Siam, il rencontra d’abord les ruines khmers de Battambang, et plus tard lorsqu’il visita celles d’Angcor, capitale de l’ancien Cambodge. Deux ans après, ces grandes œuvres d’architecture étaient signalées pour la première fois par la publication posthume du journal de ce voyageur, pages émues où éclate à chaque instant un vif enthousiasme pour « ces Michel-Ange de l’Orient dont le génie conçut et accomplit de telles merveilles. »

Mouhot avait voyagé avec l’appui des sociétés savantes de la Grande-Bretagne ; ses découvertes eurent du retentissement à Londres, et deux Anglais, partis comme lui de Bancok, ne tardèrent pas à suivre ses traces. Plus tard, un Allemand érudit, le docteur Bastian, n’hésitait pas, pour visiter les ruines khmers, à prolonger jusque dans l’Indo-Chine méridionale le voyage qu’il accomplissait alors à travers l’Asie. Cet explorateur avait toutefois été précédé à