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UNE MISSION AUX RUINES KHMERS.
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plus petits ; le tout occupe le haut d’un tumulus, Phnom-Penh, la montagne pleine, dont la ville située auprès a tiré son nom. Au bas de l’escalier par lequel on accède à cette éminence dorment de grands lions de grès, épaves de quelque édifice de l’antique époque khmer. Parmi les broussailles voisines, une statue repose sur un piédestal : c’est Nandi, la divinité qui garde la porte du Kailaça ou paradis de Siva, au sommet du mont Mérou, et que l’on représente, au Cambodge comme dans l’Inde, sous la figure d’un homme avec une tête de bœuf. Cette statue, de médiocre valeur, mais presque intacte, n’accuse pas une grande antiquité ; elle est faite d’une sorte de stuc obtenu au moyen de chaux, de sable et même d’un peu de sucre mélangés à un mucilage de feuilles provenant d’un arbre de la famille des laurinées : procédé analogue à celui des Hindous et qui se rapproche également de celui qu’employaient les anciens mayas du Yucatan dans la construction de leurs monumens.

Depuis dix ans qu’elle est devenue la capitale du Cambodge, le siége de la résidence royale et celui du protectorat français, Phnom-Penh a pris une extension remarquable et présente même déjà un caractère presque européen. Une notable partie des cases en bambous qui formaient la rue principale ont été remplacées par des maisons en briques, construites des deniers de Norodom et louées par lui à ses sujets. Le trafic énorme qui se fait dans cette ville, principalement à l’époque de la pêche sur les lacs, est presque entièrement concentré entre les mains de commerçans originaires des provinces méridionales du Céleste-Empire. Cette espèce de colonie chinoise, qui, unie, pourrait causer de graves embarras au gouvernement, est par bonheur divisée en deux congrégations rivales et sans cesse en dispute. Il y a en outre à Phnom-Penh beaucoup d’Annamites, de Malais, de Siamois et quelques Européens. Au milieu d’élémens si divers, la fonction du protectorat français, représenté par un officier habile autant que ferme, M. Moura, est loin d’être une sinécure : il faut d’une part prévenir les conflits, de l’autre réprimer les exactions des mandarins et tenir la bride aux fantaisies parfois despotiques du roi Norodom ; il faut enfin guider ce prince, l’empêcher de tomber aux mains du premier aventurier venu, et lui faire comprendre les devoirs en même temps que les avantages de notre civilisation, dont il n’est que trop disposé à s’approprier tout d’abord les vices.

La résidence royale est à elle seule une ville ; dans son enceinte logent plusieurs milliers de personnes, toutes attachées au service du roi. Au fond de la première cour, entourée de constructions diverses, telles que salle des gardes, ateliers, écuries, s’élève le palais