Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/437

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
433
UNE MISSION AUX RUINES KHMERS.

les Cambodgiens ont depuis longtemps désappris l’art de fouiller les dures entrailles de leurs rochers, et les idoles colossales qui occupent aujourd’hui le fond de leurs temples ne sont faites que de briques recouvertes de divers enduits. À l’opposite de la pente que nous avions gravie, le roc était taillé à pic du sommet jusqu’à la base ; par places, la paroi verticale était ouvragée de gigantesques effigies. L’une d’elles fixa particulièrement notre attention : elle représentait le Bouddha étendu au fond d’une excavation et dormant la tête appuyée sur des oreillers. Un gros bloc en surplomb l’abritait ; des lianes et de grandes plantes au feuillage varié entouraient son corps ; on eût dit que le dieu, fatigué, était venu chercher le repos dans l’odorante et fraîche pénombre de quelque grotte mystérieuse. D’autres figurations de la même divinité, les mains jointes ou dans l’attitude de la prédication, environnaient ce grand bas-relief. Plus bas, sur des gradins naturels, dont l’accès nous était impossible, nous vîmes des vestiges de constructions détruites par le temps et la végétation ; c’étaient des espèces de hangars recouvrant d’immenses personnages de pierre.

Tandis que nous contemplons un instant, du haut de notre observatoire, le spacieux panorama qui se déroule à nos pieds, un bruissement subit agite le feuillage autour de nous, et une troupe de singes s’avance en gambadant ; ce sont des semnopithèques au poil sombre avec une longue queue blanche ; à peine avons-nous le temps de les examiner, car, en nous apercevant, ils rentrent aussitôt dans le fourré. Un repas à la mode du pays nous attendait au bas de la montagne dans une de ces cases ouvertes dites salas, qu’on improvise comme maisons d’hospitalité pour les étrangers. Sous l’œil ravi des indigènes assis en rond autour de nous, nous faisons honneur au riz, aux salades de bambou et de concombres, ainsi qu’aux oranges et aux bananes ; nous ne pouvons toutefois prendre sur nous de goûter le poisson plus que faisandé, les œufs couvés, les vers de bambous et autres mets recherchés qu’on a joints au festin par un surcroît d’attention.

II.

À la nuit tombante, nous étions de retour à Compong-Thom ; le lendemain nous regagnions le lac et nous pénétrions dans un autre affluent qui devait nous conduire à Stung, chef-lieu de la province du même nom. À l’entrée de cette nouvelle rivière, la ligne des anciennes pêcheries était marquée par un barrage de troncs d’arbres, au milieu desquels il y avait place suffisante pour le passage de la canonnière. Nous le franchîmes, et nous nous enfonçâmes en pleine