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UNE MISSION AUX RUINES KHMERS.

que nous arrivâmes à recueillir parmi ces débris de toutes parts croulans les divers fragmens que nous en avons rapportés.

Parallèlement à cette moisson archéologique nous en opérions une autre d’une nature différente à laquelle ne s’épargnaient pas nos naturalistes. Insectes, reptiles, animaux de toute sorte en faisaient les frais. Pour ne parler que des serpens, il n’y avait pas de jour où notre collection ne s’enrichît de quelque spécimen nouveau. Nous mentionnerons entre autres une espèce de vipère verte, si commune en cette région qu’elle se glissait parfois jusque dans nos bagages, et la nuit, pour se réchauffer, jusque dans les plis des nattes qui nous servaient de couchettes. Une autre sorte de reptile abonde aussi dans ces ruines : c’est un serpent python qui atteint quelquefois des dimensions considérables. Absolument inoffensif à l’égard de l’homme, il pénètre jusque dans les habitations, attiré par le voisinage des basses-cours, qu’il dépeuplerait entièrement si les indigènes n’y mettaient bon ordre.

Une route dallée, garnie d’un double rang de stèles sculptées, relie la chaussée de Méléa à l’antique tour du siége d’ivoire, Preasat-Kong-Phluc ; nous poussâmes une reconnaissance de ce côté. Cette tour n’est plus qu’un amas de débris ; trois édicules en formaient jadis l’avant-corps ; le tout était enfermé dans un mur à créneaux, percé de portes monumentales ; mais les eaux ont tellement bouleversé cette massive clôture, que nous pûmes tout au plus en restaurer de l’œil le plan général.

Quand nous rentrâmes à notre campement les indigènes faisaient les préparatifs d’une cérémonie qui est une réminiscence des fêtes de l’Inde brahmanique ; nous voulons parler de la cueillette du lotus sacré. Les pirogues circulaient dans les fossés autour du parc de Méléa, qui n’a d’autre enceinte qu’une petite banquette de terre précédée de magnifiques belvédères en terrasses à huit escaliers. Dans de mystérieux réduits de la forêt se trouvent des sras à l’eau noire et dormante, que la légende locale représente comme des gouffres sans fond où ont été engloutis d’antiques monumens. Toute l’année, le passant les évite avec terreur ; mais, dans ces jours de fête, les bonzes et toute la population s’y rendent processionnellement pour y cueillir les grands nénufars. Nos travaux étant forcément interrompus faute de bras, le mé-sroc, un brave homme qui avait réalisé de beaux bénéfices en exécutant à la lettre les bienveillantes prescriptions du roi Norodom à notre égard, et dont la femme et les enfans montraient avec orgueil les cadeaux presque quotidiens que nous leur faisions, nous pria de venir le soir dans sa case prendre notre part des réjouissances publiques. Nous acceptâmes très volontiers l’invitation. Sur le plancher de la grande salle étaient disposés des plateaux contenant des troncs de bananier taillés en