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UNE MISSION AUX RUINES KHMERS.

Pour se faire une idée de ces dernières, il faut étudier attentivement au verre grossissant certaines des vues photographiques qui sont exposées au musée et notamment celle qui représente l’entablement d’une porte d’Angcor-Vaht ; on y découvre avec étonnement tout un monde merveilleux de menus personnages encadrés dans une ravissante ornementation. Le petit nombre de statues ou de têtes isolées que nous ont livrées les ruines de Pracang accusent aussi une perfection de travail que les sculpteurs khmers de la grande époque n’ont guère dû surpasser. Nous aurions voulu joindre à ces belles œuvres quelque monument complet d’architecture : nos moyens d’action ne nous l’ont pas permis ; mais à mesure que les relations de la France avec le Cambodge deviendront plus étroites, le musée khmer verra s’accroître le nombre et la valeur des pièces qui le composent.

En dehors des richesses qui s’étalent à ciel ouvert et qu’on vient à peine d’entamer, quelles précieuses découvertes ne peut-on pas encore attendre de fouilles habilement dirigées dans les ruines et dans les anciens sras desséchés ! Pressés par le temps, nous ne pouvions entreprendre de pareilles investigations ; mais nous savons que les indigènes, après avoir creusé le sol des villes antiques pendant des siècles, en exhument encore aujourd’hui des monnaies, des bijoux, des statuettes d’or et d’argent, qu’ils ont malheureusement coutume de jeter bien vite au creuset. Certains indices nous font en outre supposer que sous plusieurs monumens, sous le massif central de Baïon entre autres, il existait, comme dans les temples de l’Égypte et de l’Inde, des chambres souterraines, des hypogées dont on retrouvera quelque jour l’entrée et qui ne sont pas sans renfermer maint trésor d’art.

Le Cambodge, quoi qu’il en soit, est entré dès aujourd’hui dans le domaine courant de la science ; aux archéologues, aux érudits d’aborder désormais l’étude des matériaux déjà recueillis par les explorateurs ; aux savans de déchiffrer la langue oubliée en se prenant aux nombreuses inscriptions qui couvrent les monumens khmers ; aux indianistes, aux sinologues de tirer de ces témoignages écrits aussi bien que des annales des peuples voisins, de l’Inde et de la Chine, les révélations importantes qui doivent amener la reconstitution de l’histoire des Khmers et de leur brillante civilisation dans le passé. Ainsi s’élèvera peu à peu pour l’Indo-Chine un édifice scientifique rival de celui que les indianistes anglais créent, si patiemment chaque jour pour leur grande colonie d’Asie.