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perdrai jamais une occasion, monsieur le comte, de vous renouveler les assurances de ma sincère amitié. M. de Lobkowitz vous rendra compte de la continuation des sentimens du roi pour sa majesté impériale. Ils sont fondés sur les vertus des deux monarques et par conséquent seront éternels ; mais, monsieur le comte, pour réussir dans nos grands projets, soyons toujours d’accord sur les opérations militaires, sans ce préalable nous périrons l’un et l’autre. » Mais précisément c’était cet accord qu’on ne pouvait pas établir, et l’impératrice s’en plaignait amèrement. « Les Français, disait-elle, sont extrêmes et inconstans en tout ; depuis l’autre campagne, ils ont tourné leurs nez vers le Rhin, et il n’y avait plus rien à faire ni à craindre avec eux… Je suis donc du sentiment qu’il faut que nous opérons comme s’il n’y avait plus des Français et ne pas encore gâter plus nos affaires pour eux. » De son côté, l’abbé de Bernis perdait la tête et parlait dans ses dépêches de « mettre la clé sous la porte, » de trancher net et « d’avertir les alliés de faire la paix[1]. »

Ce furent encore Mme de Pompadour et Kaunitz qui resserrèrent les liens de l’alliance prête à se relâcher. L’impératrice s’apaisa, l’abbé de Bernis tomba. Choiseul prit en France le ministère des affaires étrangères et, le 30 décembre 1758, signa le troisième traité de Versailles. Kaunitz écrivit à la marquise le 11 janvier 1759 : « L’impératrice est touchée, madame, de l’intérêt que vous continuez à prendre à son union avec le roi. Elle a vu avec plaisir jusqu’ici la constance et la fermeté avec laquelle vous avez toujours été attachée au système établi entre les deux cours, et elle vous en a su le plus grand gré. » Cette lettre accompagnait l’envoi du présent : un pupitre, avec le portrait de l’impératrice, orné de pierres précieuses. M. d’Arneth a retrouvé la facture : le total s’élevait à 78,000 livres à peu près. C’était bien, comme on voit, un présent plutôt galant que magnifique[2], et qui rend difficile à croire, comme le voulait d’Argenson, « que l’avarice de la dame eût milité en tout ceci. » Kaunitz, aimable à l’excès, craignit pourtant que sa lettre, si flatteuse, ne comblât pas encore la vanité de la marquise : il lui sembla que le présent eût dû être accompagné d’une lettre autographe de l’impératrice, et il ne cacha pas ses inquiétudes à l’ambassadeur. Mais tout se passa le mieux du monde. Mme de Pompadour ne se plaignit « que de la grande richesse du présent, » et Louis XV chargea Starhemberg « de faire connaître à l’impératrice combien il était personnellement sensible à cette marque d’attention. » La joie déborda dans la réponse de Mme de Pompadour : « Réunissez, monsieur le comte, tous les sentimens que l’élévation et la sensibilité de

  1. Ch. Aubertin, l’Esprit public au dix-huitième siècle, 331.
  2. Expression de l’impératrice dans la lettre de démenti que nous avons citée plus haut.