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debout, toujours découvrant sa poitrine ; on l’abattit. À coups de fusil, à coups de revolver, on tirait sur ces malheureux ; des fédérés accourus au bruit s’étaient perchés sur une muraille voisine et chantaient à tue-tête en faisant un feu plongeant. Debout sur un petit balcon en bois, Hippolyte Parent, fumant un cigare et les mains dans ses poches, regardait et regarda jusqu’à la fin.

Le massacre ne suffisait pas ; on inventa un jeu. On força les malheureux à sauter par-dessus le petit mur ; les gendarmes sautèrent ; on les tirait « au vol » et ça faisait rire. Le dernier soldat qui restait debout était un garde de Paris, beau garçon d’une trentaine d’années qui sans doute, de service à la Comédie-Française, avait vu jouer le Lion amoureux de Ponsard ; du moins on peut le croire à la façon dont il mourut. Il s’avança paisiblement vers la basse muraille qu’il fallait franchir, se retourna, salua la tourbe rouge et dit : « Messieurs, vive l’empereur ! » Puis lançant son képi en l’air, il fit un bond et retomba frappé de trois balles sur le monceau de blessés qui s’agitaient en gémissant. L’œuvre n’était point terminée ; cinq otages, quatre prêtres et un « civil, » vivaient encore. On ordonna aux prêtres de sauter par-dessus le mur, ils refusèrent. L’un d’eux dit : « Nous sommes prêts à confesser notre foi ; mais il ne nous convient pas de mourir en faisant des gambades. » Un fédéré jeta son fusil par terre, saisit chacun des prêtres à bras-le-corps, et, pendant que la foule applaudissait, les enleva et les poussa au-delà de la muraille indiquée. Le dernier prêtre résista, il tomba entraînant le fédéré avec lui ; les assassins étaient impatiens ; ils firent feu et tuèrent leur camarade. Un seul restait, le « civil, » évanoui. Son système nerveux n’avait pas été de force à supporter ce long supplice ; le pauvre homme avait perdu connaissance. On le prit par les jambes et par les bras ; on le balança un instant et on le lança sur les autres victimes. On lui fit l’honneur d’une décharge générale[1].

Nul membre de la commune n’assista à cette boucherie, qui avait duré une heure ; était-elle enfin terminée ? Non ; il fallait achever ces blessés qui se plaignaient lamentablement. On se mit à piétiner, à sauter sur eux, on leur tira des coups de fusil et de pistolet sans pouvoir faire taire leurs gémissemens, car ceux qui étaient dessus garantissaient ceux qui étaient dessous. Un fédéré cria : « Allons, les braves, à la baïonnette ! » On lui obéit et cela parut drôle. On larda ces pauvres gens jusqu’à ce qu’ils fussent entrés dans

  1. Il est difficile de savoir quel est l’otage, — le seul parmi cinquante-deux, — qui fut faible au dernier instant ; plusieurs prêtres portaient des vêtemens laïques ; sur les quatre « civils, » deux avaient des costumes reconnaissables : Largillière, habillé en sous-officier fédéré, Ruault, couvert d’une blouse. Le doute subsiste, et je n’ai pu l’éclaircir.