Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/563

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de mourir de faim, s’étaient associés à des actes qu’ils réprouvaient, les affolés qui ne surent résister au courant qui les entraînait, les imbéciles qui, après tant de révolutions triomphantes, crurent au triomphe de la commune, les simples soldats en un mot, tombèrent pour avoir défendu des théories perverses que pas un d’eux n’avait comprises. Les instigateurs de la révolte, réfugiés à l’étranger, ont porté contre la France une accusation de cruauté. Quelques-uns cependant, mus par un sentiment de haine contre leurs anciens complices, ont poussé un cri d’alarme qu’il faut répéter, car il prouve qu’ils n’auraient point été plus démens que nos soldats. Le journal la Fédération, rédigé à Londres par les anciens acteurs de la commune, contient dans son numéro du samedi 25 février 1873 un long manifeste de Léopold Caria, qui fut lieutenant d’état-major dans « la maison militaire » du général Eudes[1]. Après avoir longuement détaillé tous les méfaits dont son ancien général et ses anciens amis se sont rendus coupables, Léopold Caria termine son factum en disant : « Ouvriers de Paris, révolutionnaires convaincus, si jamais vous voyez cette engeance revenir dans vos murs pour ressaisir le pouvoir, formez-vous en peloton d’exécution, et feu sans pitié sur tous ces gredins. » Ce conseil n’est pas à retenir ; mais il fait comprendre ce que ces gens-là, qui se connaissent bien, pensent les uns des autres.

Le moraliste est moins sévère ; à côté des crimes qu’il dévoile, il cherche, sinon l’excuse, du moins l’explication. Il nous semble que la commune est un cas pathologique analogue au mal des ardens, aux épidémies choréiques, aux possessions dont l’histoire du moyen âge nous a conservé le souvenir. Née pendant l’investissement de Paris par les armées allemandes, sous l’influence de la surexcitation, des privations, de la licence des mœurs, des aberrations proclamées et répétées, entretenue et développée par l’abus des boissons alcooliques, cette maladie atteignit son plus haut degré d’intensité après le 18 mars, tourna à la manie raisonnante, à la démence furieuse, à la folie d’imitation jacobine, à la passion homicide, aux besoins de jouissances violentes, à la pyromanie, et fut exploitée par un groupe d’ambitieux déclassés, d’ignorans vaniteux, de cuistres rongés d’envie, qui conduisirent à tous les crimes une population devenue inconsciente de ses propres forfaits.


MAXIME DU CAMP.

  1. Ce Léopold Caria ne paraît cependant pas avoir été un homme bien scrupuleux ; dans le même journal, il dit : « Nous, qui avons fusillé les mouchards dans les derniers jours de la commune. » Ceci ressemble singulièrement à un aveu de présence à la rue Haxo.