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lances qui doivent les clouer au sol. Cet exercice de haute voltige, qui réclame une certaine habitude et beaucoup de dextérité, devait coûter aux compagnons du prince, dans la suite du voyage, un certain nombre de chutes, de dents cassées et même de clavicules démises.


III

De Baroda, le prince de Galles revint à Bombay s’embarquer pour l’île de Ceylan, qu’il atteignit le 30 au port de Colombo, après avoir longé la côte occidentale de l’Inde et visité la colonie portugaise de Goa. Malheureusement la saison des pluies n’était pas complètement terminée, et l’inclémence de l’atmosphère troubla un peu le plaisir que nos voyageurs se promettaient de leur séjour dans l’antique Taprobane. Au point de vue pittoresque, Ceylan est un vrai bijou, tant pour la luxuriance de sa végétation que pour la grâce et l’originalité de ses sites. Malgré le développement qu’y ont pris sous la domination anglaise les cultures du café, du riz et de la cannelle, l’intérieur reste encore couvert en grande partie de jongles marécageuses que quelques tribus d’aborigènes disputent aux sangsues, aux serpens et aux éléphans sauvages. La petite ligne de Colombo à Candy, une merveille de hardiesse, gagne rapidement le massif central en offrant d’admirables échappées sur les immenses rizières et les forêts de cocotiers qu’enserrent au loin des chaînes rougeâtres d’arêtes finement découpées, avec le Pic-d’Adam à l’arrière-plan. Çà et là quelques huttes de chaume apparaissent sous l’ombrage d’énormes bananiers qui d’une feuille habilleraient un homme, ou bien des bois de bambous, gros comme la jambe et hauts en proportion, forment avec les lianes qui les enlacent un fourré presque impénétrable à l’œil que l’imagination peuple aisément des formes les plus étranges. Les moindres stations étaient encombrées d’indigènes accourus de toutes parts pour contempler les traits de leur futur souverain. Ces stations avaient reçu pour la circonstance une décoration d’une simplicité fort avantageuse. Au lieu de drapeaux en papier, de paravens enluminés et d’inscriptions banales à force d’être répétées, on avait eu l’heureuse idée de construire des arcades de verdure où des trophées de fleurs et de fruits constituaient une véritable exposition de l’agriculture locale. Il y avait là une innovation, à la fois de bon goût et de bon marché, qui mériterait peut-être de faire école jusqu’en Europe.

Candy, capitale de l’île, est située dans un site des plus romantiques, au fond d’un bassin boisé, sur les bords d’un petit lac où. se mire le temple de la Dent sacrée. C’est dans ce sanctuaire qu’est religieusement conservée la principale relique du bouddhisme, une