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chaises d’or et d’argent, entre des lignes d’arquebusiers et de cavalerie. Sur la gauche s’avançaient parallèlement des éléphans accompagnés d’une musique sauvage. Sur la droite caracolaient les sowars. Par devant la porte massive, flanquée de gardes en cotte de mailles, l’infanterie du maharajah présenta les armes au cortège. Dans la cour d’entrée s’alignait une troupe d’éléphans avec des baldaquins d’or et d’argent. Une seconde cour renfermait les courtisans et les officiers qui reçurent avec de profonds salams l’hôte de leur maître. Le maharajah conduisit le prince dans les appartemens supérieurs où, après les présentations usuelles et une courte conversation, une longue file de serviteurs vint déposer aux pieds de son altesse royale des échantillons d’étoffes précieuses, brocarts d’or, kinkobs renommés de Bénarès, mousselines de Dacca, châles de prix. Pareil à un vieux magicien avec ses lunettes et sa moustache blanche, le maharajah souriait à chaque présent nouveau en joignant humblement les mains comme pour dire : « Pardonnez cette indigne offrande. » Il conduisit ensuite le prince dans une seconde chambre où se trouvaient étalés d’autres beaux présens, et enfin dans une salle où était servi un riche banquet, qui resta intact. Le prince monta sur la terrasse du parapet, où l’attendait le plus merveilleux spectacle. La surface du Gange était couverte de lampions que le courant entraînait vers Bénarès, sous les murs du fort. On eût dit un ciel étoile qui se mouvait entre deux rivages d’or, car d’innombrables feux de Bengale s’étaient allumés sur les rives.., Bientôt ce ne fut plus qu’un fleuve de feu. » — Ne dirait-on pas une page des Mille et une Nuits ?

Le 6, le prince gagna Lucknow, ancienne capitale de l’Oude, le dernier royaume annexé avant la grande rébellion. M, Russel, qui avait assisté au ravitaillement et à la délivrance de la petite garnison bloquée dans cette place par les cipayes insurgés, décrit avec une certaine émotion les excursions et les cérémonies qui, durant ce nouveau séjour, lui rappelèrent les poignans souvenirs de son premier passage. La même circonstance donne une certaine valeur à ses appréciations sur l’état actuel des forces anglo-indiennes que nos voyageurs virent manœuvrer quelques jours plus tard au camp de Delhi, U les déclare propres à marcher de l’Himalaya au cap Comorin, et de Madras à Bombay, mais à cette condition que les indigènes veuillent bien les nourrir et les transporter. Il signale également le danger de laisser les officiers européens en trop faible proportion au sein des régimens indigènes. Quant aux services à attendre de l’armée native en général, « sans la mépriser le moins du monde et même en lui accordant une certaine admiration, on pourrait lui dire ce que certain fanfaron de comédie disait à son épée, en la déposant sur la table d’une taverne : « Repose là, brave