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sa trompe comme pour indiquer qu’il rendait les armes, et tandis que ses adversaires lui caressaient le dos d’un air désormais protecteur, on lui jeta une corde autour des pieds et on l’assujettit solidement à un arbre. Son altesse royale, touchée de sa vaillance et de son infortune, demanda sa grâce à sir Jung, qui lui rendit effectivement la liberté, mais non sans avoir fait scier une de ses défenses, qui fut emportée en guise de trophée.

Sous les climats tropicaux, les changemens de saison s’opèrent, pour ainsi dire, à jour fixe. Le 8 mars commence généralement dans le Teral du Népaul le règne de ces fièvres paludéennes qui rendent ce district aussi mortel pour les indigènes que pour les Européens. Déjà les symptômes avant-coureurs de la malaria s’étaient manifestés dans le camp népaulais, quand le 6 son altesse royale prit congé de sir Jung Bahadour et rentra sur le territoire britannique pour se rembarquer le 13 à Bombay, après une dernière excursion à la petite cour d’Indore. Le voyage avait duré dix-sept semaines, et on commençait à se sentir un peu fatigué de ces réceptions et de ces fêtes dont l’originalité même finissait par devenir une source de monotonie. Nous ne suivrons pas M. Russel dans ses descriptions de la traversée jusqu’à Portsmouth, en compagnie de la gent à poils et à plumes, — tigres, léopards, guépards, éléphans, autruches et autres créatures de moindre importance, — qui transformait le Serapis en une véritable arche de Noé. Nous n’insisterons pas davantage sur les visites que le prince fit au Caire, à Malte, en Portugal et en Espagne, car ces réceptions paraîtraient bien pâles après le récit de l’accueil qu’il avait reçu dans les capitales de l’Inde. Ce fut le 11 mai que les nouveaux Argonautes revirent les rivages de leur pays, non pas avec la toison d’or, mais avec une collection de présens qui la valaient bien, et, mieux encore, avec une provision de souvenirs comme Jason en eût vainement demandé aux rives de la Colchide.

M. Russel, en terminant son récit, affirme que le voyage du prince de Galles constituera un jalon, a landmark, dans l’histoire de l’empire britannique. L’expression est peut-être un peu ambitieuse. Ce voyage, au point de vue politique, n’a pas produit et ne pouvait guère produire de résultats directs, puisque le prince de Galles n’était investi d’aucun pouvoir spécial ; mais indirectement on ne peut contester que son passage n’ait servi à resserrer les liens entre les gouvernans et les gouvernés. Sans doute on ne doit pas trop prendre au sérieux les témoignages de dévoûment et d’enthousiasme qui ont été prodigués sous ses pas. Au lieu d’un prince réunissant dans sa personne les qualités les plus propres à séduire l’esprit indigène et personnifiant une domination qui s’est donné