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l’on va. C’est malheureusement notre histoire depuis quatre mois et plus que jamais à la veille des élections qui vont dire le dernier mot de ce long conflit dont l’acte du 16 mai a été le point de départ. Assurément des élections sont ou devraient être tout ce qu’il y a de plus simple, précisément parce que dans les pays libres elles sont la solution régulière, prévue et acceptée des différends qui s’élèvent entre les pouvoirs. M. le président de la république n’a point excédé son droit en recourant à un moyen imaginé justement pour tempérer ou dénouer les crises. D’où viennent donc cette obscurité et ce malaise qui sont un des dangers de notre situation ? C’est que nous sommes entrés dans une de ces phases où de toutes parts les passions, les arrière-pensées, les interprétations des partis, le langage, les défis, dépassent les limites d’un conflit régulier et des institutions elles-mêmes. On est dans l’inconnu, et le gouvernement a vraiment fait tout ce qu’il a pu pour pousser à fond cette lutte dont il a pris, dont il tient à revendiquer, jusqu’au bout, l’initiative et la responsabilité.

Lorsqu’il y a quelques semaines M. le maréchal de Mac-Mahon a fait son voyage dans la Gironde et lorsqu’il a répondu à un discours, plein de déférence et de savante modération, du maire de Bordeaux, M. Fourcand, qui est un sénateur républicain, il y a eu partout le sentiment d’une sorte de détente possible, et ce sentiment n’avait rien qui ne pût honorer le chef de l’état. A mesure que M. le président de la république s’est éloigné de Bordeaux, passant par tours, rentrant à Paris, il a paru redoubler de laconisme impérieux et revenir à d’autres idées qui ont fini par trouver leur dernière et frappante expression dans ce manifeste par lequel il vient d’ouvrir la période des élections. C’est peut-être un essai assez malheureux d’éloquence politique. M. le maréchal de Mac-Mahon, accoutumé au langage d’un soldat, ne s’est point aperçu qu’on ne parle pas à toute une nation appelée à se prononcer sur ses affaires dans un scrutin solennel comme on parle à une armée rangée en bataille. Sans le vouloir, il s’est exposé à blesser bien des instincts fort légitimes, même chez des conservateurs, et, s’il faut tout dire, il y a pour les esprits libéraux une certaine humiliation à constater les progrès de notre éducation politique ! Il y a trente ans, on n’aurait pas parlé ainsi du haut du pouvoir, M. le président du conseil, qui n’a pas contre-signé le manifeste, peut s’en souvenir. Aujourd’hui le ton est changé, et ce qu’il y a de plus curieux, c’est qu’avec un accent de commandement personnel poussé jusqu’à la rudesse soldatesque, avec l’apparence d’une netteté tranchante et décisive, le manifeste n’en dit pas plus pour cela, il ne dissipe pas l’équivoque qui est au fond de tout, dont M. le président de la république lui-même est la première victime. M. le maréchal de Mac-Mahon parle bien, avec une candeur redoutable, de ce qu’il appelle sa politique, mais on ne voit pas, on ne sait pas trop quelle est cette politique.