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l’attention comme la caractéristique essentielle de la folie. Nous croyons qu’il y a là une erreur, car certains fous sont capables de poursuivre longtemps et malgré tous les obstacles la combinaison d’un dessein, ce qui suppose une force singulière d’attention. Quoi qu’il en soit, le distrait n’est pas toujours un homme inattentif ; bien au contraire, ce qui paraît en lui distraction n’est souvent que l’effet d’une concentration intense de la pensée sur elle-même ; mais, dans tous les cas, le distrait se distingue du fou en ce que sa préoccupation n’est jamais invincible.

On a dit quelquefois que le fou est un homme qui se trompe, d’où il résulterait que la fausseté d’esprit et l’erreur ne diffèrent point essentiellement de la folie. À ce compte, tous les hommes, ou peut s’en faut, seraient fous, car, si j’en crois les auteurs de la Logique de Port-Royal, « on ne rencontre partout que des esprits faux, qui n’ont presque aucun discernement de la vérité ; » et quant à l’erreur, elle est l’universelle condition de l’humaine nature. Mais l’erreur de l’esprit faux, comme celle de l’esprit ordinairement juste, a un tout autre caractère que celle du fou. L’esprit faux ne l’est que relativement ; il est faux, non parce qu’il voit ce qui n’existe pas, mais parce qu’il considère hommes et choses par un côté qui, vrai en soi, n’est pas celui où il devrait se placer dans une circonstance donnée ; il est faux encore, parce qu’il exagère ou diminue l’importance réelle de tel ou tel point de vue, qu’il méconnaît les proportions exactes des objets et des événemens, et cela par une tendance qui tient à sa constitution même. Mais cette disposition n’est chez lui ni tout à fait constante ni invincible ; de plus, elle ne va pas jusqu’à l’égarer sur les principes mêmes d’où découle toute certitude, ni sur les règles fondamentales de l’honnête et du juste : par là l’esprit faux n’est pas un esprit fou.

Encore moins l’erreur de l’esprit naturellement juste peut-elle être confondue avec la folie. L’erreur vient, comme le dit Descartes, de la précipitation et de la prévention, c’est-à-dire d’un jugement qui repose sur une observation hâtive et superficielle des choses, ou d’un acquiescement aveugle soit aux préjugés reçus de l’éducation, de la coutume, soit aux suggestions des passions. Par suite, il est toujours possible d’éviter l’erreur, car toujours on peut réserver son jugement, se mettre en garde contre les opinions toutes faites, apaiser ses passions par une forte discipline morale ; de même terreur, acceptée d’abord, peut toujours être plus tard découverte et rejetée ; il suffit de regarder de plus près, d’appliquer une attention plus persévérante et plus intense, de douter là où l’évidence ne s’impose pas irrésistible. Bien de tout cela n’existe dans la folie ; la libre disposition de son assentiment n’appartient plus à l’aliéné ; l’idée fausse, absurde, immorale, a sur son esprit tout entier une