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colonie n’aurait aucune chance de réussir, puisqu’il lui manquerait le voisinage des chrétiens qu’elle pût dépouiller par la magie des lettres de change et autres sortilèges du grimoire commercial. La colonie juive resta à l’état de projet, mais les autres plans de colonies sectaires étaient d’une réalisation plus pratique, et M. Gibbon Wakefield se prêta avec ardeur à leur succès. Il aida à en établir deux, une dans la province d’Otago, exclusivement composée d’Écossais presbytériens, une autre dans ce qui est aujourd’hui la province de Canterbury, exclusivement composée d’anglicans.

Cette conception quelque peu bizarre, d’une ferveur religieuse semi-archaïque, qui faisait des colonies des espèces de musées vivans, ou mieux, des jardins de botanique humaine où l’on pourrait contempler dans tout son épanouissement et pure de tout voisinage étranger telle ou telle variété chrétienne, ne se fit jour que dans les années qui suivirent la fondation de la colonie, aux alentours de 1847 et 1848 ; c’est assez dire qu’elle se trompa de date, et que le courant restreint d’où elle émanait était impuissant à lutter contre le courant plus général qui entraînait les générations de cette période. Le premier triomphe de la démocratie dans la Nouvelle-Zélande a donc été de noyer sous ses flots l’exclusivisme sectaire qui avait donné naissance à ces colonies. Tout caractère presbytérien, au rapport de M. Trollope, a disparu de la province d’Otago, où les fidèles de cette secte ne forment pas plus de la moitié de la population. L’anglicanisme, plus puissant, a mieux réussi à se défendre dans la province de Canterbury, et surtout à conserver à la colonie la tradition de son origine. Les colons fondateurs, dont un petit nombre existent encore, sont toujours respectueusement salués du nom de pèlerins de Canterbury, Canterbury pilgrims, nom qui leur avait été donné au départ d’Angleterre, sans doute par allusion à ces pilgrim fathers qui jetèrent les fondemens de la Nouvelle-Angleterre. La ville de Christchurch (église du Christ) conserve dans son nom d’une manière durable le souvenir des intentions exclusivement religieuses d’où elle est sortie, et ses rues portent les noms des principaux sièges épiscopaux d’Angleterre ; mais ce sont là d’assez chétives victoires et qui sont loin de compenser les défaites plus sérieuses subies par le plan primitif des fondateurs. De même que les presbytériens dans Otago, les anglicans ne composent guère, dans la province de Canterbury, que la moitié de la population, 30,000 sur 62,000, et, scandale humiliant, la cathédrale de Christchurch ne parvient pas à sortir de ses fondemens, jetés depuis vingt ans, et cela par crainte de causer un déplaisir trop violent à la partie non anglicane de la population. Qu’une province particulièrement choisie, il y a trente ans, pour être le bercail réservé des brebis triées de l’anglicanisme, puisse donner un spectacle si peu