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été convenablement dressées, et on lui demandait d’abord près d’un millier d’hommes ; sur ses réclamations, ce chiffre a été réduit à 694. Elle a voulu, elle aussi, en donnant de l’argent ou des substituts, éluder dans une certaine mesure l’application de la loi ; à cet effet, la députation a pris l’initiative d’une souscription destinée à couvrir les frais du rachat, soit 4 millions de réaux environ, dont elle-même a fourni le tiers sur ses revenus ; le reste, en dépit de l’épuisement de la province, a été souscrit tant par les particuliers que par les municipes. Toutefois, on en conviendra, cet effort vraiment prodigieux ne pourrait se renouveler souvent sans grave préjudice pour la fortune du pays, surtout quand les provinces auront par surcroît à payer l’impôt. Ç’a été une satisfaction donnée à l’opinion publique, fort excusable assurément, mais, dès l’année prochaine, la Vizcaye et le Guipuzcoa se verront obligés de fournir, comme l’Alava, leur contingent effectif.

Quelle qu’ait été en cette occurrence l’attitude différente des trois provinces, ce serait bien mal connaître les Basques que de penser que les mesures gouvernementales n’aient pas fait naître dans tous les cœurs de sourdes colères qui n’attendent peut-être qu’une occasion d’éclater. Peu de temps avant le vote de la loi du 21 juin, en réponse à ce que j’avais écrit ici même[1] sur l’abolition prévue des fueros, Antonio de Trueba, dans ses Contes du foyer, disait : « Pour moi, je vous l’assure, loin de me résigner au grand malheur et à la grande iniquité que vous m’annoncez comme la chose la plus naturelle du monde, ma dernière larme serait pour la pleurer et ma dernière parole pour la condamner. Abolir les fueros ! Autant vaudrait arborer une perpétuelle bannière de rébellion sous laquelle se rangeraient bientôt tous les opposans, semant des promesses et des espérances qui donneraient un fruit amer pour la patrie… Quand le pays de Galles perdait ses libertés, on fit tuer les bardes pour qu’ils ne pussent plus ni les chanter ni les pleurer ; de nos jours on ne pourrait plus tuer les bardes et encore moins dans un pays où chaque lieu donnerait asile à l’un d’eux. Vous qui me croyez capable de chanter au son des chaînes, vous pouvez être sûr que mon cœur serait assez grand pour contenir le plus indigné de tous. » Et plus récemment une autre personne fort instruite et fort connue m’écrivait : « Non, vous dis-je, notre cher et malheureux pays ne perdra pas ses droits pour tant que ses ennemis y fassent effort. Les peuples qui ont gardé leurs libertés comme celui-ci pendant vingt-cinq siècles ne succombent pas à un trait de plume ministérielle ni à l’opinion de 150 individus réunis en parlement ; ils

  1. Voyez, dans la Revue du 15 Janvier 1876, un Conteur espagnol : Antonio de Trueba.