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Que des troupes sonnant une marche guerrière
Venaient par le chemin qui longeait la rivière,
L’abbesse fit ouvrir, contre tous les avis,
La grande porte et tôt baisser le pont-levis ;
Puis elle conduisit ses sœurs et ses novices
Dans le chœur éclairé comme pour les offices
Et leur fit réciter les prières des morts.

Sur un bai-brun rétif et qui blanchit le mors,
Voici Procope. Il vient dans un bruit de fanfare,
Et sur le ciel sanglant derrière lui s’effara
Le sombre gonfanon des Frères de Tabor,
Sur lequel est brodé le grand calice d’or.
Les routes du vallon sont toutes occupées
Par un fourmillement de lances et d’épées ;
Et huit bœufs, balayant la terre du fanon,
Traînent auprès du chef un énorme canon
Autour duquel s’enroule une guivre de bronze,
Lourde pièce fondue en mil quatre cent onze
Par Ali, le sorcier de Prague, et dont le son
Était si foudroyant qu’il donnait le frisson
Aux plus vieux batailleurs jusqu’au fond de leurs chausses
Et faisait avorter au loin les femmes grosses.

Sous les murs du couvent, juste au milieu du val,
Procope le Tondu descendit de cheval
Et, se tournant alors vers les gens de sa suite :

— Cage ouverte, dit-il ; les oiseaux sont en fuite.
Nous arrivons trop tard.
Et, le sourcil froncé,
Farouche, il s’avança jusqu’au bord du fossé.
Mais, après un regard sous le vieux portail sombre,
Il recula, voyant une lueur dans l’ombre.
C’était l’église ouverte et les cierges flambans,
L’autel avec sa croix, les nonnes sur leurs bancs ;
Et tout à coup l’abbesse et ses bénédictines,
Sans aucun tremblement dans leurs voix argentines,
Entonnèrent un triste et long Pie Jesu.

Saisi par un émoi qu’il n’avait jamais eu,
L’homme hésita. Très brave, il estimait les braves.
Il fit camper et mettre aux chevaux les entraves,