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nouvelle au gouvernement de son pays. Quelle crise, au contraire, quelle cause de ressentimens et de fureurs, si le gouvernement, satisfait d’avoir la majorité, s’était obstiné à ne pas regarder plus loin ! Voilà le vrai ministre constitutionnel. Le jour de sa chute, de cette chute si noblement voulue, si noblement préparée, a été le jour le plus glorieux de sa glorieuse carrière.

La réforme électorale demandée vers le même temps à M. Guizot était bien moins difficile à introduire chez nous que la réforme des lois agricoles dans les comtés d’Angleterre. Ce qu’on réclamait alors était si peu de chose ! Ne pas tenir compte seulement de l’impôt dans la concession du droit de suffrage, faire à l’intelligence sa part, chercher des garanties ailleurs que dans les bureaux du fisc, voilà les réformes dont le ministère se faisait un si grand sujet d’épouvante ! il ne voyait pas quels argumens et quelles armes il fournissait aux passions subversives. On raconte qu’en 1847 un candidat à la députation alla trouver Victor Cousin pour lui demander sa voix. Cousin l’écouta, puis, très gravement, avec cet art dramatique où il excellait, il lui débita ce petit discours : « Monsieur, je suis professeur à la faculté des lettres, je suis membre de l’Académie des sciences morales et politiques, je suis membre de l’Académie française, je suis membre du conseil royal de l’instruction publique, je suis pair de France, j’ai été ministre, je puis le redevenir,… mais je ne suis pas électeur. » C’est vers le même temps que M. Guizot, dans les débats sur l’extension du droit de suffrage, faisait cette déclaration solennelle : « L’heure du suffrage universel ne sonnera jamais. » Quelques mois plus tard, cette heure avait sonné, la résistance aveugle aux réformes les plus simples avait fait les affaires de la révolution, un insigne déni de justice avait provoqué une injustice en sens contraire, et le bulletin de vote du dernier manœuvre pesait autant que le suffrage d’un Victor Cousin, autant que le suffrage d’un Guizot.

Stockmar pensait à tout cela lorsqu’il portait sur le ministère Guizot le sévère jugement qu’on vient de lire. Ce n’était pas un jugement précipité, comme ceux qui échappent aux meilleurs esprits pendant les violences de la crise, sous le vent des passions déchaînées. Le conseiller de la reine écrivait ces pages en toute sérénité d’intelligence, deux années après le 24 février 1848. L’année suivante il revenait encore sur les mêmes idées. Enfin, au mois de janvier 1852, il résumait tout dans cette déclaration : « Je n’aime pas Guizot, je le hais même d’une haine loyale, parce que je lui attribue une grande part de la faute qui a causé la catastrophe européenne. Je crois, — aussi fermement qu’un homme peut croire, — je crois que sans les ténébreuses pensées de Guizot, sans sa