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« Depuis que la reine Louise est entrée dans le cercle d’existence où j’ai moi-même une place depuis tant d’années, je vénère en elle, avec une conviction profonde, le modèle de son sexe. Nous disons, nous croyons que la créature humaine peut être noble et bonne ; de la reine, nous ne disons pas qu’elle peut l’être, nous savons qu’elle l’est, et nous le savons de science certaine. En elle, nous pouvons voir tous les jours une vérité de sentimens, une fidélité au devoir, qui de la noblesse possible, mais si rare, du cœur humain fait pour nous une certitude. Des personnalités comme celle de la reine des Belges sont à mes yeux la garantie la plus sûre de la perfection de l’Être qui a créé l’humaine nature. »


Quels que fussent les devoirs de patriotisme qui retenaient Stockmar en Allemagne, l’ami qui avait assisté le prince Léopold trente-deux ans plus tôt au lit de mort de la princesse Charlotte d’Angleterre ne pouvait rester éloigné du roi des Belges à l’heure où la reine Louise, l’auxiliaire dévouée de son œuvre, venait de descendre au tombeau. Stockmar se rendit à Bruxelles dans le courant du mois d’octobre. C’est de là que, répondant aux lettres du prince Albert, il lui donnait des nouvelles du roi Léopold, avec des détails particuliers sur les dernières pensées de la reine Louise. Une lettre d’elle, jointe à son testament, était adressée au roi, et ne devait être ouverte qu’après sa mort, « Je l’ai lue, dit Stockmar. C’est vraiment l’expression d’une âme angélique dans toute sa pureté. J’ai prié le roi d’en faire une copie pour notre reine. »

Et ce n’était pas seulement la perfection morale que Stockmar admirait chez la reine Louise, il avait été si frappé en mainte occasion de la sagacité de son intelligence, de la sûreté de son jugement, qu’il avait toute confiance dans le rôle politique qu’elle pouvait remplir. On a déjà vu combien Stockmar était dévoué à la cause de la Belgique. Si les Belges avaient eu le malheur de perdre le roi Léopold avant que l’héritier du trône eût atteint sa majorité, la reine, avec son esprit si droit, si loyal, et soutenue par l’affectueuse vénération qu’inspiraient ses vertus, aurait continué efficacement l’œuvre si bien commencée par son illustre époux. C’est à ces sentimens que le prince Albert faisait allusion, lorsqu’il écrivait à Stockmar : « Il serait inutile de vous parler de la grandeur d’une telle perte, car vous êtes mieux en mesure que moi d’en apprécier les conséquences. »


VI

Ces grandes douleurs de Stockmar, la mort de sir Robert Peel, la mort de la reine Louise, qui atteignaient en lui l’homme privé