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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/156

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somme. Après cela sort la vieille duègne, et elle lui dit : « Monsieur, par charité, moi aussi j’ai des cornes et je veux être guérie. — Toi, répondit le médecin, tu dois me donner quatre cents ducats. « Ainsi fut fait. Sortit ensuite le domestique, disant que lui aussi voulait être guéri, et, les conditions faites, il eut à donner deux cents ducats, et il s’en trouva bien. Et après le médecin s’en alla.

« Une autre fois il remplit le panier de cette herbe qui l’avait fait devenir baudet. Et il l’alla vendre sous la porte cochère de cette dame. Celle-ci s’empressa d’acheter. Le vendeur voulut qu’elle en mangeât un peu devant lui, et comme ça elle devint bourrique. Il lui mit le licou et, en la tirant, il l’emmena. En ce temps-là on faisait un temple au sommet d’une montagne, et on y montait des prêtres sur des ânes. Cet homme y alla aussi et voulait toujours faire deux ou trois courses de plus que les autres pour maltraiter l’ânesse qu’il menait. Les autres compagnons qui travaillaient là mirent le nez dans cette affaire et allèrent le dénoncer au pape. Le pape fit venir le jeune homme et lui demanda pourquoi il maltraitait la pauvre bête. Lui, dit d’abord qu’il le faisait pour gagner plus d’argent, mais voyant après que le pape ne voulait pas le croire, il lui raconta toute l’histoire et tout ce qui lui était arrivé depuis qu’il était né. Le pape alors lui fit savoir comme quoi il était son frère et lui ordonna de donner à la femme de théâtre cette certaine eau qui l’aurait fait redevenir femme. Ainsi fut fait. Les deux frères restèrent ensemble heureux et contens, et ils laissèrent aller cette dame de théâtre à cause de cette bourse qui lui avait causé tant de tribulations. »

Cette histoire des cornes se reproduit de mille façons dans toutes les provinces et dans tous les dialectes de la péninsule. Nous en possédons une version milanaise qui ne manque pas d’intérêt. Il s’agit ordinairement d’un jeune homme ou d’un fils de roi trompé par une belle princesse qui lui gagne aux cartes ou autrement les talismans qu’il porte sur lui. À la fin, c’est l’homme qui à son tour joue la femme ou se fait aimer d’elle. Dans d’autres contes, il n’y a pas de femme ; la plus belle moitié du genre humain est remplacée par un fourbe quelconque, un aubergiste par exemple, car de tout temps et en tous pays l’aubergiste a passé pour un coquin. Voici une petite légende recueillie à Santo-Stefano par M. de Gubernatis. — Un père avait trois fils. L’aîné va chercher fortune et trouve en chemin un vieillard : c’est Jésus en personne qui lui tient compagnie. Mais, voyant qu’il ne lui arrive rien d’heureux, le jeune homme perd courage et veut retourner au logis. Alors Jésus lui fait cadeau d’une table à trois pieds à qui il suffit de dire : « Couvre-toi, » et elle se couvre de toutes les grâces de Dieu. Le jeune homme arrive dans une auberge et il est si heureux qu’il ne peut