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réelle influence, dans les complications du présent ou dans celles qui touchent l’avenir de leur pays : on l’a vu lors des agitations du scandinavisme. Ceux qui ont suivi ces mouvemens, d’où pouvait dépendre la formation d’une ligue qui eût sauvé un des états du nord et prévenu pour l’Europe bien des malheurs, peuvent se rappeler la réunion des étudians Scandinaves à Upsal, leur réception ensuite dans le palais de Drottningholm par Oscar Ier, et les graves paroles qui, dans la harangue royale, répondaient à l’émotion de ces jeunes représentans des trois nations sœurs. En des journées comme celles-là, les étudians d’Upsal conciliaient fort bien avec les classiques souvenirs les aspirations nationales et les vœux patriotiques.

Avons-nous quelque chose à envier soit pour notre pays, soit pour notre enseignement supérieur à ce que nous a montré l’université d’Upsal ? Oui certes. Nous n’avons pas vu d’un cœur indifférent et sans retour sur nous-mêmes une conciliation intelligente des anciennes mœurs avec la liberté. Cette grande école du nord, où d’innombrables dotations, religieusement sauvegardées depuis deux ou trois siècles, assurent l’enseignement gratuit pour quiconque a droit d’y prétendre et au besoin, l’indépendance envers l’état, où les jeunes gens apprennent d’abord à respecter, à chérir les souvenirs, les lois, les coutumes de leur pays, et à se gouverner eux-mêmes, cette institution vouée à l’étude la plus active et au progrès, honorée depuis plus d’un siècle et de notre temps par quelques-unes des principales découvertes dans le champ des sciences naturelles, cette tranquillité d’une petite ville d’université, avec ses maisons de bois brillantes d’une exquise netteté, avec sa verdure abondante, ses eaux vives et ses fleurs, ses chauds foyers l’hiver, sa vie de famille, qui donc verrait sans s’y intéresser ce spectacle ? Est-ce à dire que nous devions rêver de transporter chez nous quelques parties de cet édifice ou d’emprunter les principaux traits de ce modèle ? Probablement non, tant les circonstances historiques et les milieux sont différens. On peut regretter, quand on l’a rompue, la chaîne avec le passé, on ne peut pas la rétablir. Si vous coupez vivant le grand arbre, vous sacrifiez en un moment les avantages acquis par un long passé pour un long avenir, et cette double perte est irréparable. Il reste toutefois la lumière et l’air, qui se répandent et circulent plus librement ; il reste un sol fécondé par les débris eux-mêmes. Ce qu’il faut souhaiter, c’est que le progrès chez nous accompli de l’aveu de tous n’exclue pas notre sincère hommage au progrès accompli sous des formes et avec des conditions différentes chez les autres peuples.


A. GEFFROY.