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aux prétentions envahissantes de la physiologie. Aucun n’a songé à démentir ces paroles de Stuart Mill : « Les physiologistes ont plus que personne le travers commun à tous les genres de spécialistes ; ils se butent à chercher dans leur propre spécialité la théorie entière des phénomènes qu’ils étudient, et ne ferment que trop souvent l’oreille aux explications venues d’ailleurs[1]. »

L’apparition récente du livre de M. Luys sur le Cerveau et ses fonctions a mis dans son plein jour la tendance de l’école dont il est, sinon une des lumières incontestées, du moins un représentant fidèle. M. Luys est un soldat d’avant-garde ; il ignore les ménagemens et les hésitations : esprit systématique, il a poussé jusqu’à leurs plus extrêmes limites les idées généralement admises autour de lui. Là où ses confrères ajournent leurs espérances, il affirme sans crainte et sans réserves. Il a hasardé le premier une psychologie physiologique ou une psycho-physiologie complète ; il veut, il croit tout expliquer, il ne laisse aucun problème sans une solution apparente, qu’il expose avec une conviction absolue.

Malheureusement, quand on opère avec une méthode vicieuse, plus on lui demande, moins elle donne ; plus on croit obtenir d’elle, plus on est trompé. Aussi les résultats proclamés par M. Luys ont-ils été loin d’obtenir l’assentiment des esprits sages de son école : sans méconnaître la haute valeur des travaux anatomiques qui assurent à son nom une durable et légitime notoriété[2], ils se sont élevés contre les conclusions prématurées, les hypothèses aventureuses de sa physiologie cérébrale : l’auteur du nouveau traité sur le Cerveau et ses fonctions compromettait la méthode en voulant obtenir de force des résultats qu’elle donnera un jour, mais qu’il faut savoir attendre en les préparant patiemment.

Pour nous, nous nous applaudirions volontiers de la publication de l’ouvrage, de M. Luys comme d’un service rendu à la cause de la vérité, si les réflexions qu’il a provoquées et celles qu’il provoquera encore pouvaient être le signal d’une réaction contre la méthode même dont il s’est inspiré après tant d’autres, et dont les défauts peuvent désormais, grâce à lui, apparaître aux yeux les plus indulgens. On peut juger de l’arbre par les fruits : suivre pas à pas M. Luys dans les parties successives de sa doctrine, scruter ses affirmations à la lumière d’une critique impartiale, fondée sur la logique et le sens commun, ce serait un moyen, et même un moyen facile, bien qu’indirect et compliqué, de faire le procès de la

  1. Stuart Mill, Étude sur Berkeley.
  2. Recherches sur le système nerveux cérébro-spinal, avec un atlas de 40 planches, 1865. — Iconographie photographique des centres nerveux, 1873. — Ces deux ouvrages ont été couronnés par l’Académie des sciences) le livre que nous étudions en contient un résumé dans sa première partie.