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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/209

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vraiment, n’y a-t-il que des souvenirs entre la sensation et la détermination du mouvement ? l’âme n’est-elle qu’une mémoire ? est-ce que le mathématicien se souvient quand il trouve de nouveaux théorèmes ? le peintre quand il imagine un tableau ? la mère quand elle craint pour son enfant des périls imaginaires ? Si l’âme est une mémoire, c’est une mémoire qui invente, et quand l’âme invente, elle n’est plus une simple mémoire. La mémoire est la base d’un édifice ; gardons-nous de la méconnaître, mais ne nous refusons pas à voir ce qui, porté sur ces précieuses assises, s’élance vers le ciel. De cette proposition : l’âme n’est qu’une mémoire, sans doute un sensualiste admettrait le fond ; mais, en psychologue consciencieux, il rejetterait la forme : des souvenirs élaborés, dissociés, dont les élémens épars ont été réunis par un lien nouveau, ne sont plus des souvenirs après qu’ils ont subi ce double travail de décomposition et de recomposition ; ayant reçu une forme nouvelle, ils ne méritent pas de garder leur nom primitif.

A quelques lignes de distance, M. Luys nous propose une nouvelle formule ; il a changé de langage : cette fois, il parle optique. Il distingue dans l’activité du cerveau trois phases : « phase d’incidence, — phase intermédiaire, — phase de réflexion. » Le premier et le troisième de ces termes sont des métaphores sans valeur. Le second échappe à la critique par son insignifiance, nous dirions volontiers sa modestie ; mais, un peu plus loin, M. Luys, momentanément fidèle à l’ordre de comparaisons qu’il vient d’adopter, le traduit par une nouvelle métaphore tirée de la physique : « phosphorescence nerveuse. » Ainsi : 1° un rayon tombe sur le cerveau ; — 2° le cerveau le garde quelque temps, le cerveau est phosphorescent ; — puis 3° le cerveau renvoie le rayon. Et voilà le dernier mot de l’auteur sur la loi la plus importante de l’activité de l’âme ! En lisant ces théories, ou plutôt ces formules, comment ne pas songer malgré soi à notre grand comique et à ses plaisanteries devenues proverbiales sur la vertu dormitive de l’opium et sur les causes du mutisme chez les jeunes filles ?

Le langage favori de M. Luys est celui de la mécanique ; le mot énergie revient souvent sous sa plume. Ces sortes de termes, transportés hors de leur emploi spécial, perdent toute signification précise, et, ce qui n’est pas moins grave, M. Luys, en les employant, s’expose de la part des positivistes vrais au reproche mérité d’avoir eu recours, dans un livre de science pure, aux idées métaphysiques si formellement condamnées par son école et si durement reprochées par elle aux vitalistes de Montpellier[1].

Parler plusieurs langues est assurément légitime ; mais les parler

  1. M. Luys a été loué dans un recueil médical pour son style vitaliste, signe, disait-on, d’une tendance qui s’ignore.