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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/211

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rien signifier. Parler ainsi, c’est confondre des phénomènes qui peuvent être conditions les uns des autres, antécédens, conséquens, contemporains nécessaires, avoir des rapports de temps ou de causalité, mais qui ne peuvent avoir aucun rapport d’analogie, même lointaine, qui sont deux pour toujours, qui ne feront jamais un groupe unique de phénomènes.

L’usage d’une langue bien faite habitue l’esprit à penser correctement. Il ne faut donc pas s’étonner si l’habitude d’une langue babélique a entraîné M. Luys à d’étranges solécismes sur le fond même des choses. Quand il a distingué les trois opérations du cerveau (nous dirions de l’âme) : 1° sentir, 2° garder la trace de la sensation, ou se souvenir, 3° réagir, ou susciter des mouvemens, il réunit dans la première opération trois ordres de faits très distincts, que toute bonne psychologie, même élémentaire, doit distinguer : d’abord les sensations que l’on peut appeler objectives, puisqu’elles nous font connaître des objets : voir, entendre, palper, etc., ensuite les sensations subjectives, appelées encore sentimens passifs ; on les comprendra toutes dans cette formule : éprouver du plaisir ou de la douleur ; enfin les sentimens actifs, comme désirer, aimer, haïr, etc. Ces différences lui échappent ; il confond tous ces faits sous le nom commun de sensibilité. Or les sentimens passifs et actifs sont des faits où la causalité directe du corps, évidente dans la sensation, disparaît, des faits non pas semblables, mais parallèles aux souvenirs et aux faits de connaissance qui en dérivent, par conséquent des faits qui doivent être rattachés à la seconde opération et non à la première. Bien plus, dans les sentimens actifs, M. Luys aurait pu voir quelque chose d’analogue à ce qu’il appelle la réaction (troisième opération) ; le désir est une tendance active au mouvement : c’est à tort, mais non sans motif, que le langage des anciens le confondait avec la volonté. Ainsi les faits compris par M. Luys dans la première opération débordent ce cadre trop étroit, envahissent la seconde, et touchent à la troisième.

Voilà un exemple de classification malheureuse. En voici un de définition évidemment peu réfléchie. M. Luys définit la douleur par l’hyperesthésie. Dès lors, pour être conséquent, ne faudrait-il pas soutenir que le plaisir est une anesthésie, que la moindre sensation est la plus agréable, et que l’absence de toute sensation est le parfait bonheur ? La félicité se réaliserait donc par la mort ? Suivons cette idée en logiciens rigoureux : le rose plaît à l’œil, mais le rouge blesse la vue ! le rouge peut être appelé un rose douloureux, et le rose un rouge aimable ! Que l’hyperesthésie n’aille point sans la douleur, c’est une autre affaire. Epicure avait fondé sur cette vérité son art du bonheur ; son principe était que les plaisirs