Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sortes de recherches, c’est la définition physiologique du phénomène nerveux. L’organe est connu, il a une fonction ; mais quelle est-elle ? — C’est un mouvement, dit-on. — volontiers ; on suppose cela par analogie, et le fait est qu’il est difficile de comprendre une fonction qui ne serait pas un mouvement. Mais quelle sorte de mouvement ? — Un mouvement moléculaire. — Évidemment, puisqu’il est invisible. Et après ? .. Mystère. Pour dissimuler ce mystère, on peut faire appel à l’arsenal varié de comparaisons que fournissent les différens chapitres de la physique, l’électricité, le magnétisme, la thermodynamique, l’optique. Mais, nous ne nous lasserons pas de le répéter, on ne fait pas une science avec des métaphores. Faute de mieux, il est donc sage de s’en tenir aux mots comme innervation et autres analogues, tautologies honnêtes, aveux sans fard d’une ignorance actuellement invincible, qu’il vaut mieux reconnaître avec franchise en attendant qu’on puisse aller plus avant et dépasser le point de vue provisoire où la science est actuellement confinée.

La vérité est qu’à moins de se borner à désigner les phénomènes nerveux par leurs substratums anatomiques, ce qui est illusoire, on est réduit à les définir par leurs résultats musculaires et visibles, ou bien, comme il arrive pour la sensation, par leurs correspondans psychologiques. Quand la physiologie emploie le premier moyen, elle reste du moins sur son terrain et elle peut atteindre le degré de sûreté que comporte l’emploi de sa méthode propre en ces matières ; quand elle emploie le second, sa marche est moins assurée : elle veut être indépendante, elle croit l’être ; elle ne l’est pas et ne peut l’être ; faute de le reconnaître franchement et d’aller à l’école des psychologues pour marcher d’un pas plus sûr[1], elle balbutie des hypothèses chancelantes en un langage plein d’équivoques.

Si tel est déjà l’embarras de la physiologie nerveuse quand elle se borne à scruter ce que nous appelons les rapports de l’âme et du corps, les faits complexes où des organes visibles aux fonctions évidentes coopèrent à titre de causes ou d’effets à des actes dont une partie seulement reste dans l’ombre, quelle doit être son impuissance quand elle s’aventure dans cet ordre de faits où, pour parler notre langage, l’âme est indépendante, dans les régions purement et proprement psychologiques où s’élabore la pensée, où naissent et meurent les sentimens, dans la région de la science, de l’amour,

  1. On rapporte que Gall disait : « Je demande des faits à mes amis, et je me charge ensuite de les localiser. » Il n’y a qu’un mot à reprendre à cette déclaration : Gall avait tort de s’adresser à ses amis ; au sujet des faits psychologiques, il eût été mieux renseigné par ses ennemis.