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passions d’ancien régime subitement réveillées, et des instincts, des intérêts de la société moderne créés par la révolution, disciplinés par l’empire. Ce n’est qu’avec le temps sans doute et à travers mille péripéties que s’est dessiné ce drame appelé aussi plus tard une comédie, — la comédie de quinze ans ! — Ce n’est que peu à peu, d’année en année, que les partis se sont classés avec leurs chefs, avec leurs mots d’ordre, et que, dans la mêlée des opinions, le duel s’est resserré. Dès le premier moment apparaissait déjà, étendant son ombre sur le régime, cette fatalité de réaction dont la chambre de 1815 était comme l’expression vivante, fougueuse et naïvement implacable.

Elue aussitôt après les cent jours, dans une première effervescence de royalisme, composée d’émigrés, de hobereaux de province, d’inconnus violens, cette chambre, dans sa majorité, résumait toutes les passions de représailles, tous les regrets d’ancien régime, tous les ressentimens contre la révolution, contre l’empire. C’était un moment étrange où Chateaubriand lui-même, au lendemain de l’exécution de Labédoyère, suppliait le roi de s’armer du glaive et de poursuivre ses justices, où M. de La Bourdonnaye imaginait ses « catégories » destinées à enlacer le pays d’un réseau de proscriptions, — où l’on ne pouvait, sans être rappelé à l’ordre, faire allusion aux scènes sanglantes de la « terreur blanche » du Midi, aux meurtres des protestans de Nîmes. C’était le temps où des hommes, cependant honnêtes, proposaient la banqueroute au détriment des créanciers de l’état, sous prétexte que ces créanciers dataient de l’empire, et où des politiques sortis de leurs manoirs s’essayaient à réédifier les juridictions, la puissance territoriale et civile de l’église. De ce monde « ultra, » plus royaliste que le roi, révolutionnaire de procédés et de langage au nom de la monarchie, impatient de domination, M. de La Bourdonnaye était la trompette retentissante, M. de Bonald était le théoricien subtil et inflexible, les Salaberry, les Duplessis-Grenedan, les Bouville, étaient les bruyans coryphées. Ces naïfs énergumènes, qui ne supportaient pas même qu’on les mît en garde contre leurs passions, marchaient aux répressions impitoyables comme à un triomphe ; ils rêvaient, à l’abri de l’occupation étrangère, avec l’appui d’une partie de la famille royale, de défaire tout ce que la révolution avait fait depuis vingt-cinq ans, de relever les influences aristocratiques et religieuses. Ils ne voyaient pas qu’ils ne faisaient qu’alarmer les intérêts nouveaux, troubler le patriotisme, semer les hostilités irréconciliables et préparer a court terme des réactions en sens contraire, soit par les conspirations, soit par la revanche régulière de l’opinion libérale momentanément réduite au silence. Ils étaient, dès le premier jour, le péril de la monarchie renaissante.