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naître les actes et les pensées nobles, les dévoûmens et les vertus utiles au bien général, ces imaginations belles et heureuses qui seules donnent du prix à la vie. — Mais la vérité, une fois entrée dans le monde, fait son œuvre, et toutes ces illusions qui rendaient l’existence tolérable tombent une à une ; voilà le progrès, le seul.

La science au moins, à défaut de la philosophie, n’est-elle pas faite pour nous consoler par ses magnifiques découvertes et ses progrès ? On croirait que le savant qui a participé aux grands travaux de la philologie de son temps, qui a connu les érudits illustres, depuis Angelo Mai jusqu’à Niebuhr, émule lui-même de ces savans, et destiné, s’il l’eût voulu, à un grand renom d’helléniste, on croirait qu’il va pardonner à la science. Point. Nous apprenons avec quelque étonnement que la science du xixe siècle est en baisse, et par la qualité et par la quantité des savans. Le savoir ou, comme on dit, les lumières s’accroissent en étendue sans doute, mais plus s’accroît la volonté d’apprendre, plus s’affaiblit la faculté d’étudier : les savans sont moins nombreux qu’il y a cent cinquante ans. Et qu’on ne dise pas que le capital intellectuel, au lieu d’être accumulé dans certaines têtes, se divise entre beaucoup et gagne à cette division. Les connaissances ne sont pas comme les richesses qui, divisées ou agglomérées, font toujours la même somme. Là où tout le monde sait un peu, on sait fort peu ; l’instruction superficielle peut être, non pas précisément divisée entre beaucoup d’hommes, mais commune à beaucoup d’ignorans. Le reste du savoir n’appartient qu’aux savans, et où sont-ils, les vrais savans, sauf peut-être en Allemagne ? En Italie et en France, ce qui croît sans cesse, c’est la science des résumés, des compilations, de tous ces livres de facture qui s’écrivent en moins de temps qu’il n’en faut pour les lire, qui coûtent ce qu’ils valent et qui durent en proportion de ce qu’ils coûtent.

Ce siècle est un siècle d’enfans, qui, comme de vrais enfans, veulent tout faire tout d’un coup sans travail approfondi, sans fatigue préparatoire. — Mais quoi ! ne voulez-vous pas tenir compte de l’avis des journaux, qui disent tout le contraire ? — Je le sais, répond Tristan, qui n’est autre que Leopardi, ils assurent tous les jours que le xixe siècle est le siècle des lumières, et qu’ils sont, eux, la lumière du siècle : ils nous assurent aussi que la démocratie est une grande chose, que les individus ont disparu devant les masses, que les masses font toute l’œuvre que faisaient autrefois les individus, par une sorte d’impulsion inconsciente ou de contrainte divine. Laissez faire les masses, nous dit-on ; mais, étant composées d’individus, que feront-elles sans les individus ? Or, les individus, on les décourage en ne leur laissant plus rien à espérer, pas même cette misérable récompense de la gloire. On les discute,