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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/29

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le duc de Richelieu portait avant tout aux affaires, avec la loyauté d’un galant homme, un sentiment français digne de son grand nom, et le témoignage le plus touchant de son patriotisme est certes la lettre qu’il écrivait à sa sœur, Mme de Montcalm, au moment où il venait de signer le traité de novembre 1815 : « Tout est consommé. J’ai apposé plus mort que vif mon nom à ce fatal traité. J’avais juré de ne pas le faire, je l’avais dit au roi. Ce malheureux prince m’a conjuré, en fondant en larmes, de ne pas l’abandonner ; je n’ai plus hésité… La France expirante sous le poids qui l’accable réclamait impérieusement une prompte délivrance…. » Malgré sa longue émigration et ses liens de société aristocratique, le duc de Richelieu ne partageait pas les passions des « ultras. » Obligé de leur résister, il s’étonnait et souffrait à la fois d’avoir des royalistes pour adversaires, de les trouver moins sensibles que lui aux malheurs du pays, moins désintéressés que lui. « En vérité, disait-il dans une conférence intime aux fanatiques de réaction, en vérité je ne vous comprends pas avec vos haines, vos ressentimens qui ne peuvent amener que de nouveaux malheurs. Je passe tous les jours devant l’hôtel qui a appartenu à mes pères, j’ai vu les terres de ma famille dans les mains de nouveaux propriétaires… Cela est triste, mais cela ne m’exaspère ni ne me rend implacable. Vraiment vous me semblez quelquefois fous, vous qui êtes restés en France…[1] »

À cette politique que le duc de Richelieu couvrait de son patriotisme et de sa probité s’associaient des hommes venus un peu de tous les bords, M. Lainé, l’orateur pathétique à l’âme courageuse et élevée, qui le premier avait osé dire la vérité à Napoléon par l’adresse fameuse de 1813, — M. Pasquier, que nos contemporains ont vu garder jusqu’à la dernière limite de l’âge un esprit si ferme, si net, si éclairé et jamais découragé ! Membre de l’ancien parlement, préfet de police sous l’empire, député de Paris après la seconde restauration, nommé un moment président de la chambre et successivement ministre de la justice, ministre des affaires étrangères, M. Pasquier était le conseiller toujours prêt, toujours clairvoyant, alliant la modération des idées à l’art de rapprocher les hommes, au sens pratique des situations. Quarante ans après, celui qui était devenu et qui restait pour tous « le chancelier » aimait à évoquer ce temps et M. de Richelieu. « Le souvenir m’en est cher, écrivait-il ; c’est qu’au travers des émotions, des incertitudes, les lueurs d’espérance se laissaient entrevoir ! Les succès qu’on obtenait quelquefois soutenaient le courage, et ils en auraient donné si on en avait

  1. Cette conversation avait été notée par M. de Villèle et a été retrouvée dans ses papiers. — Voyez le livre Royalistes et républicains, par M. Thureau-Dangin.