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de respect dont il s’étonnait peut-être un peu lui-même. L’un et l’autre, avec des collègues devenus bientôt des amis, avaient fait cette campagne de 1815 en émules qui s’étaient rencontrés pour la première fois et avaient grandi ensemble. Chose curieuse ! c’est parmi ces modérés que la prérogative royale avait en ce moment ses plus sûrs défenseurs, c’est au camp des « ultras » du royalisme que les droits parlementaires trouvaient leurs champions les plus ardens. L’anomalie semble étrange, elle était plus apparente que réelle. Au fond, les royalistes extrêmes revendiquaient avec âpreté les droits parlementaires, parce que, formant la majorité, ils espéraient se servir de ces droits pour conquérir le pouvoir et pour réaliser leurs desseins, en s’imposant, s’il le fallait, au roi. Les modérés se montraient les gardiens résolus des droits de la royauté, des prérogatives du gouvernement, parce qu’ils sentaient que là était la dernière garantie du régime constitutionnel, d’un système de modération. Chacun suivait son instinct.

Les libéraux, De Serre et Royer-Collard en tête, soutenaient le ministère en le devançant quelquefois ou en l’aiguillonnant. Ils témoignaient la déférence la plus empressée pour M. de Richelieu, qui sentait le prix de leur concours et qui les craignait un peu, pour M. Laine, qui entrait en mai 1816 au ministère de l’intérieur. C’est en soutenant le gouvernement et en se semant à demi soutenus par lui qu’ils avaient réussi parfois à détourner les motions les plus violentes dans la première session de 1815 ; mais ils voyaient bien qu’avec cette chambre impatiente de réaction et à peine contenue par la volonté du roi, rien ne serait possible, qu’à une session nouvelle tout serait à recommencer dans des conditions probablement aggravées, que le gouvernement allait à une impasse.

Ils ne se méprenaient ni sur les dangers de la situation, ni sur la nécessité et le caractère du remède. Un renouvellement partiel de la chambre était strictement selon la charte, — la dissolution complète suivie d’élections générales semblait bien plus encore être selon la vraie politique. Les libéraux n’osaient guère espérer du tempérament du cabinet ce remède héroïque, une résolution prompte et hardie. Ils ne savaient pas qu’à ce moment même le plus délié des ministres, celui qui avait le plus la faveur de Louis XVIII, M. Decazes, avec autant de discrétion que d’habileté, s’occupait de conquérir le roi d’abord, puis ses collègues, M. de Richelieu, M. Lainé, à la mesure la plus décisive. De Serre, revenu à sa cour de Colmar après la session, et Royer-Collard, demeuré à Paris comme directeur-général de l’instruction publique, ne cessaient de s’entretenir, dans leur correspondance, de ce problème du moment, qu’ils suivaient avec des alternatives de