Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/356

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’Europe. Il fit lever la moisson dont Henri IV avait semé la graine. Il empêcha l’empire d’étouffer le monde ; il fut le sauveur non-seulement de son pays, de tous les petits états, de tout ce que la tyrannie de l’empire menaçait de ruine et de léthargie.

Par un caprice étrange du sort, les deux adversaires étaient condamnés tous deux à lutter l’un contre l’autre par des moyens lâches et féminins : le sort du monde fut décidé dans des alcôves ; la ruse, l’hypocrisie, la délation, eurent autant de part à l’issue des grandes crises que les armées et les batailles. Le roi de France, âme débile et timorée, oscilla sans cesse entre l’aimant du respect filial et la terreur du ministre. L’histoire devint comme un drame, découpé en tableaux ; la pâle figure du roi y revient comme l’image de cette fatalité qui conduit les nations à leur destinée, à travers les larmes, le sang et les murmures des peuples.

Nous nous arrêterons seulement à ces années critiques de la brouille de Marie de Médicis et de Richelieu, qui furent des années décisives de notre histoire. M, Paul Henrard, mettant à profit les archives de Bruxelles, a publié sur l’exil de Marie de Médicis un ouvrage riche en documens et en renseignemens curieux. Il a parfaitement compris que la fuite de la reine mère et de Gaston d’Orléans dans les Pays-Bas, les conspirations qui y furent ourdies avec l’aide de l’Espagne, furent parmi les causes déterminantes qui amenèrent plus tard en Belgique et en Hollande les armées françaises : « Si ces deux puissances continentales, rivales depuis plus d’un siècle, et qui, pendant tant d’années, avaient en quelque sorte choisi l’Italie pour y vider en champ-clos leurs différends, finirent par prendre pour théâtre de leurs luttes la terre hospitalière, asile de l’ennemie irréconciliable du cardinal de Richelieu, c’est que cette terre était devenue le foyer où se concentraient toutes les haines soulevées par cet illustre homme d’état, et d’où partaient toutes les entreprises hostiles à son autorité et tous les attentats contre sa personne. »


I

Les haines sont plus vives pour succéder aux longues amitiés. On sait qu’avant d’être l’ennemi de Marie de Médicis, Richelieu avait été son protégé, nous dirions presque sa créature, si ce mot injurieux pouvait s’appliquer aux hommes de sa sorte. Contraint de quitter le ministère après l’assassinat du maréchal d’Ancre, Richelieu continua à entretenir des rapports avec la reine mère, dont les disgrâces avaient commencé. Il fut exilé à Avignon, mais dans son exil il n’était pas uniquement occupé d’écrire son Instruction du chrétien. La reine mère, prisonnière au château de Blois, s’évada