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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/390

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Mitzikéli et descendis par Metzovo sur la plaine de Thessalie. Je gagnai Volo sans me reposer. J’étais guéri du désir des aventures et des batailles ; quand un brick autrichien, qui passait en Syrie, m’eut pris à son bord, je trouvai qu’il n’y avait si douce musique que celle du vent sifflant dans les voiles pour me ramener à notre maison.


III

Tu as vu, effendi, le vent de l’Archipel jouer au printemps avec les plumes noires des grèbes, perdues à la vague. J’ai idée qu’il jouait de même avec mon sort. Il me porta à Rhodes. L’Autrichien, s’étant défait dans l’île de son chargement, décida d’y attendre la moisson avant d’aller en Syrie. J’étais sans ressources, je ne savais aucun état, il fallait trouver du pain ; je me louai à un patron de Cymî, tu sais, la petite île entre Rhodes et la côte où l’on pêche les éponges, et il m’employa au dur métier de plongeur. J’appris à descendre au fond de la mer, à vivre plusieurs minutes sans respirer et à choisir dans la clarté trouble des profondeurs les belles éponges qui percent le sable. Je travaillai ainsi plusieurs mois pour amasser de quoi retourner dans mon pays. Quand j’eus mis dans ma ceinture une centaine de piastres, je dis adieu au patron et pris place un matin dans le caïque qui portait notre récolte de la semaine aux marchands de Rhodes. Celui-là encore ne devait pas me mener au port, et ce fut un vent plus rapide et plus puissant que le vent de mer, qui cette fois changea ma route. Comme nous doublions la pointe et le village de Stavro où sont les meilleures pêcheries de Cymî, les bateliers atterrirent pour puiser de l’eau à la source sous les figuiers. Je montai jusqu’à un champ de pastèques pour en acheter une couple ; n’ayant trouvé personne, je m’endormis de lassitude au pied d’un platane. C’était un lourd midi de juillet, la vague chaude comme une lame de plomb nous renvoyait le soleil depuis l’aube.

Je n’avais guère dormi quand je fus éveillé par une voix d’enfant qui chantait la chanson que tu as dû entendre, la nuit, quand passent à la côte les pêcheurs des îles.

— Dans le courant de ma vie, — Pourquoi t’ai-je rencontrée, — Puisque tu n’étais pas pour moi, — Pourquoi t’ai-je regardée ? ..

En me voyant l’écouter, la chanteuse qui puisait de l’eau se leva et vint à moi, un quartier de pastèque à la main, un grand sourire au front. — C’était une fille de la mer, éclatante et dorée comme les roches de Cymî au feu de l’été, souple et gracieuse comme la voile au mât, semblant de même portée dans sa marche par le vent. Ses grands yeux brillaient d’une lumière verte comme celle qui