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L’Allemagne du XVIIIe siècle, dans la grande majorité des intelligences qui représentent sa vie morale, reste fidèlement attachée à la doctrine que lui avait enseignée Leibniz, que Wolf avait maintenue, et qui du reste se trouvait facilement d’accord soit avec les dogmes de la théologie officielle, soit avec le déisme sentimental de Pope, de Rousseau, de Paley, fort en faveur dans cette population de pasteurs et de philosophes d’université, pendant le long interrègne philosophique qui va de Leibniz à Kant. À peine si dans cette quiétude d’esprit et de doctrine pénètrent quelques échos des sarcasmes de Voltaire, répétés par son royal disciple, le grand Frédéric, et les libres esprits qui vivent dans le rayon de la petite cour de Potsdam. La triste gaîté de Candide s’est noyée en traversant le Rhin ; ce peuple religieux et lettré continue à répéter que tout ici-bas est disposé, par une Providence bienveillante, pour le bonheur final de l’homme, et que ce monde lui-même est le meilleur des mondes possibles.

Plus tard, lorsque change la scène des idées, lorsque paraissent Kant et tous ces illustres conquérans du monde philosophique sortis de la Critique de la raison pure, Fichte, Schelling, Hegel, l’optimisme particulier de Leibniz disparaît ; mais l’optimisme lui-même, bien que modifié, subsiste. Il y a cependant dès lors quelque vague tendance à décrier la vie et à l’estimer au-dessous de son prix. On a relevé avec soin quelques passages marqués d’une teinte pessimiste dans Kant ; on nous rappelle que Fichte a dit « que le monde réel est le pire des mondes possibles. » On met sous nos yeux ces propositions de Schelling : « La douleur est quelque chose de nécessaire dans toute vie… Toute douleur a sa source exclusive dans le seul fait d’exister. L’inquiétude de la volonté et du désir, qui fatigue chaque créature de ses sollicitations incessantes, est en soi-même le malheur[1]. » On sent déjà là le voisinage de Schopenhauer. La philosophie hégélienne elle-même n’est pas hostile au pessimisme ; elle le conçoit comme l’une des phases de l’évolution universelle. Selon Hegel, on le sait, toute existence finie est condamnée à la loi douloureuse de se détruire elle-même par ses contradictions. Cette loi de la souffrance, résultant de la division et de la limitation de l’idée, contient un principe de pessimisme que Volkelt a mis parfaitement en lumière[2].

On comprend l’intérêt que Schopenhauer et Hartmann peuvent avoir à chercher des précédens, et pour ainsi dire une parenté honorable pour leur théorie. Mais, si l’on y regarde de près, on ne voit là que des analogies superficielles et des alliances plus que dou-

  1. Philosophie de l’Inconscient, 2e vol., p. 354, trad. de M. Nolen. Comparer Schopenhauer sur ce sujet, le Monde comme volonté et représentation, IIe part., chap. XLVI.
  2. L’Inconscient et le Pessimisme.