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J’eus une contenance si maladroite qu’elle comprit à l’instant la vérité. — J’ai déplu ?

— Non.

— Ne mentez pas.

— Mon oncle et ma tante sont deux vieillards chagrins ; ils ont sur beaucoup de choses des idées qui ne sont pas celles de tout le monde.

— Je ne vous déplais pas pour cela ?

— Marguerite, pouvez-vous croire ?

— Alors tout est bien…

Elle sourit ; mais je vis bien qu’elle était triste. J’étais moi-même troublé, indécis ; j’avais à subir des assauts continuels, et il ne se passait plus de soirée que je n’entendisse tomber dans la conversation quelque mot piquant à son adresse.

Mon oncle et ma tante m’apprirent enfin, — c’était un jeudi, je m’en souviens, — qu’ils comptaient rendre dans l’après-midi la visite qui leur avait été faite. Prenant le premier prétexte que me suggéra mon imagination, je sortis et je courus en toute hâte chez nos voisins, où je fus fort embarrassé d’expliquer ma démarche, n’osant avouer franchement que j’arrivais dans l’espoir de préparer le champ de bataille. Marguerite venait de mettre une robe neuve qu’avaient faite ses doigts de fée et qui lui allait merveilleusement ; dans l’ouverture du corsage, sans doute plus échancré que le légendaire spencer bleu, elle était en train de placer un petit bouquet de roses qui me fit frémir. — Je vous en prie, Marguerite, ne gardez pas ce bouquet.

— Pourquoi donc ?

— Pour que ma tante Clarisse ne fronce pas les sourcils en l’apercevant.

— Vous savez que j’adore les fleurs. J’en ai toujours au corsage. C’est une coquetterie bien innocente. Quel mal votre tante voit-elle à cela ?

— Eh ! le sais-je ? Cela ne se faisait pas quand elle était jeune.

Marguerite arracha le bouquet avec un geste de colère : j’étendis la main pour le lui prendre et m’en faire une relique ; mais elle le jeta par la fenêtre avant que j’eusse pu m’en emparer. — Ces exigences sont ridicules à la fin ! Ne faut-il pas aussi que j’aille mettre une robe à ramages et un bonnet à rubans jaunes, comme votre tante ?

Voyant une larme dans mes yeux, elle me tendit la main. — J’ai tort de me fâcher ; je ne veux pas vous faire de la peine. Mais vous êtes aussi trop faible !

Malgré ce raccommodement, j’emportai une grande tristesse : c’était notre première querelle, et j’étais assiégé par toute sorte